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PRÉFACE. XXVII

souvent la main. De quelque manière qu'il soit devenu synonyme de péril, qui est le terme propre, le terme d'origine latine (periculum), le français littéraire ne donne rien au delà de cette acception présente. Mais allons aux patois ; aussitôt la signification s'étend et ouvre des aperçus dont il faut tenir compte. Dangier, en normand, signifie domination, puissance ; et dangî, en wallon, nécessité, péril. Sont-ce des sens arbitraires et nés de caprices locaux ? Pas le moins du monde ; la série des textes écarte une aussi fausse interprétation. Dans l'ancien français, danger signifie autorité, contrainte, résistance, et le sens de péril n'y paraît qu'assez tard. L'historique, les patois, le sens d'aujourd'hui, voilà donc les éléments de toute discussion sur le classement des significations du mot danger et sur son étymologie.

Certaines formes pures qui ont disparu du français sont demeurées dans les patois. Si l'on doutait que lierre fût une production fautive née de l'agglutination de l'article avec le mot (l'-ierre), les patois suffiraient à en fournir la preuve ; tous n'ont pas suivi la langue littéraire dans la corruption où elle est tombée ; et hierre, du latin hedera, se trouve dans la bouche des paysans de plusieurs provinces, tandis que les lettrés sont obligés de dire et d'écrire ce barbarisme, le lierre. Non pas que je veuille, grammairien ou lexicographe rigoureux, conseiller en aucune façon de revenir sur ce qui est accompli et d'essayer, par exemple, de restaurer hierre à la place du vicieux usurpateur lierre ; y réussir serait un mal. En effet, qu'arriverait-il? L'oreille s'accoutumant à hierre, lierre deviendrait un barbarisme insupportable, et tous les vers de notre âge classique, où lierre figure honorablement, seraient déparés. On n'a que trop fait cela au dix-septième siècle, quand, déclarant entre autres dedans, dessus, dessous, adverbes au lieu de prépositions qu'ils avaient été jusque-là, on a rendu désagréables pour nous tant de beaux vers de Malherbe et de Corneille. Il est des barbarismes et des solécismes qu'il est moins fâcheux de conserver, qu'il ne le serait de les effacer.

D'autres fois les patois offrent un secours particulier à l'étymologie. Dans notre mot ornière, si l'on prend en considération le commencement or... et le sens, on sera très porté à y trouver un dérivé du latin orbita, roue (l'ornière étant la trace d'une roue), par l'intermédiaire d'une forme non latine orbitaria, mais qu'on peut supposer. Cependant des scrupules étymologiques persistent, et la présence de l'n au lieu du b entretient les doutes ; car orbita, par l'intermédiaire d'orbitaria, aurait dû donner orbière, non ornière. Si orbière était quelque part, il éclaircirait ornière, qui ne pourrait pas en être séparé. Il est en effet quelque part ; le wallon a ourbîre, qui signifie ornière, et de la sorte le chaînon nécessaire est trouvé.

Un fait qui est certain, bien qu'il n'ait pas été très remarqué, c'est que de temps en temps il s'introduit dans la langue littéraire des mots venus des patois, particulièrement des patois qui, avoisinant le centre, ont avec lui moins de dissemblance pour le parler. Cela n'est point à regretter ; car ce sont toujours des mots très français et souvent des mots très heureux, surtout quand il s'agit d'objets ruraux et