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xxxvi PRÉFACE.

cause dans l'accentuation latine. Celle-ci, sans avoir une règle aussi simple que l'accentuation française, est beaucoup moins compliquée que l'accentuation grecque. En voici la règle essentielle en deux mots : la langue latine recule l'accent tonique jusqu'à la syllabe antépénultième du mot. Ainsi dans anima, animas, dominus, dominos, l'accent est sur an, sur dom ; il importe peu que la finale soit longue, l'accent garde sa place. Mais si la syllabe pénultième est longue, alors l'accent se déplace et vient se fixer sur cette pénultième : dólor, dolórem : l'accent, qui est d'abord sur do, passe sur lo.

Toutes les langues romanes obéissent à l'accent latin. Dans chaque mot, la syllabe accentuée en latin est la syllabe accentuée en français, en espagnol, en italien, en provençal ; les exceptions elles-mêmes confirment la règle, c'est-à-dire qu'il est toujours possible de les expliquer, en montrant que la règle les domine. Cette puissance de l'accent est surtout remarquable dans le français, qui mutile singulière ment le mot latin ; car toutes ces mutilations portent sur les syllabes non accentuées la syllabe accentuée est toujours respectée. Considéré dans sa forme par rapport au latin et dans son origine, je définirais le français, une langue qui conserve la syllabe accentuée, supprime d'ordinaire la consonne médiane et la voyelle brève ; puis, cela fait, reconstruit le mot suivant l'euphonie exigée par l'oreille entre les éléments littéraux qui restent ; et de la sorte etablit sa nouvelle et propre accentuation, qui porte toujours sur la dernière syllabe en terminaison masculine, et sur l'avant-dernière en terminaison féminine. On définirait autrement les autres langues romanes ; mais il demeure avéré, pour lui comme pour elles, que toute étymologie qui pèche contre l'accent latin est à rejeter, si elle n'a pas d'ailleurs quelque explication précise et valable.

Telles sont les conditions déterminées que désormais l'étymologie doit remplir. La recherche a des limites qui l'assurent et, j'allais dire en songeant à quelques rêveries anciennes ou modernes, des garde-fous qui la protègent. En dehors de ces limites commence la conjecture, que dès lors on donne uniquement pour ce qu'elle vaut. En dedans de ces limites s'exerce l'habileté étymologique ; car, pour avoir posé les règles, on est loin d'avoir tout fait, on a seulement mis l'outil entre les mains de l'ouvrier. Les difficultés étymologiques sont, dans les langues romanes, beaucoup plus grandes et plus nombreuses qu'on ne le croit communément.

Dans la composition des articles de ce dictionnaire, j'ai placé l'étymologie tout à fait en dernier lieu ; c'est qu'en effet elle ne peut être discutée à fond qu'après que tous les documents ont passé sous les yeux, à savoir les significations, les emplois, l'historique, les formes des patois et celles des langues romanes. Les éléments de la discussion une fois rassemblés, il ne reste plus qu'à en tirer le meilleur parti possible.

C'est dans ce dictionnaire que, pour la première fois, on trouvera traitée dans sa généralité l'étymologie de la langue française. Jusqu'à présent il n'y a eu que des travaux partiels ; ici est un travail d'ensemble. Habitué aux méthodes rigoureuses, j'ai peu usé de la conjecture. Aussi reste-t-il de notables lacunes, surtout pour les