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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/184

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& de ſes Modes Simples. Liv. II.

certainement que deux vibrations ſucceſſives d’un Pendule ſont égales, il auroit bien de la peine à ſe convaincre lui-même qu’elles le ſont indubitablement, parce que nous ne pouvons point être aſſurez que la cauſe ce mouvement, qui nous eſt inconnuë, opère toûjours également, & nous ſavons certainement que le milieu dans lequel le Pendule ſe meut, n’eſt pas conſtamment le même. Or l’une de ces deux choſes venant à varier, l’égalité de ces Périodes peut changer, & par ce moyen la certitude & la juſteſſe de cette meſure du Mouvement peut être tout auſſi bien détruite que la juſteſſe des Périodes de quelque autre apparence que ce ſoit. Du reſte, la notion de la Durée demeure toûjours claire & diſtincte, quoi que parmi les meſures que nous employons pour en déterminer les parties, il n’y en ait aucune dont on puiſſe démontrer qu’elle eſt parfaitement exacte. Puis donc que deux parties de ſucceſſion ne ſauroient être jointes enſemble, il eſt impoſſible de pouvoir jamais s’aſſurer qu’elles ſont égales. Tout ce que nous pouvons faire, pour meſurer le Temps, c’eſt de prendre certaines parties qui ſemblent ſe ſucceder conſtamment à diſtances égales : égalité apparente dont nous n’avons point d’autre meſure que celle que la ſuite de nos propres idées a placé dans notre Mémoire ; ce qui avec le concours de quelques autres raiſons probables nous perſuade que ces Périodes ſont effectivement égales entre elles.

§. 22.Le Temps n’eſt pas la meſure du Mouvement. Une choſe qui me paroît bien étrange dans cet article, c’eſt que pendant que tous les hommes meſurent viſiblement le Temps par le mouvement des Corps Céleſtes, on ne laiſſe pas de définir le Temps, la meſure du Mouvement ; au lieu qu’il eſt évident à quiconque y fait la moindre reflexion, que pour meſurer le mouvement il n’eſt pas moins néceſſaire de conſiderer l’Eſpace, que le Temps : & ceux qui porteront leur vûë un peu plus loin, trouveront encore, que pour bien juger du mouvement d’un Corps, & en faire une juſte eſtimation, il faut néceſſairement faire entrer en compte la groſſeur de ce Corps. Et dans le fond le Mouvement ne ſert point autrement à meſurer la Durée, qu’entant qu’il ramene conſtamment certaines Idées ſenſibles, par des Périodes qui paroiſſent également éloignées l’une de l’autre. Car ſi le mouvement du Soleil étoit auſſi inégal que celui d’un Vaiſſeau pouſſé par des vents inconſtans, tantôt foibles, & tantôt impetueux, & toûjours fort irréguliers : ou ſi étant conſtamment d’une égale vîteſſe, il n’étoit pourtant pas circulaire, & ne produiſoit pas les mêmes apparences, nous ne pourrions non plus nous en ſervir à meſurer le Temps que du mouvement des Cometes, qui eſt inégale en apparence.

§. 23.Les Minutes, les Heures, les Jours & les Années ne ſont pas des meſures néceſſaires de la Durée. Les Minutes, les Heures, les Jours & les Années, ne ſont pas plus néceſſaires pour meſurer le Temps, ou la Durée, que le Pouce, l’Aune, ou la Lieue qu’on prend ſur quelque portion de Matiére, ſont néceſſaires pour meſurer l’Etenduë. Car quoi que par l’uſage que nous en faiſons conſtamment dans cet endroit de l’Univers, comme d’autant de Periodes, déterminées par les Révolutions du Soleil, ou comme de portions connuës de ces ſortes de Periodes, nous ayions fixé dans notre Eſprit les idées de ces différentes longueurs de Durée, que nous appliquons à toutes les parties du temps dont nous voulons conſiderer la longueur, cependant il peut y avoir