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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/188

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& de ſes Modes Simples. Liv. II.

te durée, avec laquelle le mouvement, ou cette apparence particulière n’aura pourtant jamais exiſté.

§. 30.De l’idée de l’Eternité. Car comme dans l’Hiſtoire de la Création telle que Moïſe nous l’a rapportée, je puis imaginer que la lumiére a exiſté trois jours avant qu’il y eût le Soleil ni aucun Mouvement, & cela ſimplement en me repréſentant que la durée de la Lumiére qui fut créée avant le Soleil, fut ſi longue qu’elle auroit été égale à trois revolutions diurnes du Soleil, ſi alors cet Aſtre ſe fût mû comme à présent ; je puis avoir par le même moyen, une idée du Chaos ou des Anges, comme s’ils avoient été créez une minute, une heure, un jour, une année, ou mille années, avant qu’il y eût ni Lumière, ni aucun mouvement continu. Car ſi je puis ſeulement conſiderer la durée comme égale à une minute avant l’exiſtence ou le mouvement d’aucun Corps, je puis ajoûter une minute de plus, & encore une autre, juſqu’à ce que j’arrive à 60. minutes, & en ajoûtant de cette ſorte des minutes, des heures et des années, c’eſt à dire, telles ou telles parties d’une Révolution ſolaire, ou de quelque autre Période, dont j’aye l’idée, je puis avancer à l’infini, & ſuppoſer une Durée qui excede autant de fois ces ſortes de Périodes, que j’en puis compter en les multipliant auſſi ſouvent qu’il me plaît, & c’eſt là, à mon avis, l’idée que nous avons de l’Eternité, dont l’infinité ne nous paroît point différente de l’idée que nous avons de l’infinité des Nombres, auxquels nous pouvons toûjours ajoûter, ſans jamais arriver au bout.

§. 31. Il eſt donc évident, à mon avis, que les idées & les meſures de la Durée nous viennent de deux ſources de toutes nos connoiſſances dont j’ai déjà parlé, ſavoir la Reflexion & la Senſation.

Car prémiérement, c’eſt en obſervant ce qui ſe paſſe dans notre Eſprit, je veux dire cette ſuite conſtante d’Idées dont les unes paroiſſent à meſure que d’autres viennent à diſparoître, que nous nous formons l’idée de la Succeſſion.

Nous acquerons, en ſecond lieu, l’idée de la Durée en remarquant de la diſtance dans les parties de cette Succeſſion.

En troiſiéme lieu, venant à obſerver, par le moyen des Sens, certaines apparences, diſtinguées par certaines Periodes réguliéres, & en apparence équidiſtantes, nous nous formons l’idée de certaines longueurs ou meſures de durée, comme ſont les Minutes, les Heures, les Jours, les Années, &c.

En quatriéme lieu, par la Faculté que nous avons de repeter auſſi ſouvent que nous voulons, ces meſures du Temps, ou ces idées de longueurs de durée déterminées dans notre Eſprit, nous pouvons venir à imaginer de la durée là même où rien n’exiſte réellement. C’eſt ainſi que nous imaginons demain, l’année ſuivante, ou ſept années qui doivent ſucceder au temps préſent.

En cinquiéme lieu, par ce pouvoir que nous avons de repeter telle ou telle idée d’une certaine longueur de temps, comme d’une minute, d’une année ou d’un ſiécle, auſſi ſouvent qu’il nous plaît, en les ajoûtant les unes aux autres, ſans jamais approcher plus près de la fin d’une telle addition,