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ELOGE DE M. LOCKE


Contenu dans une Lettre du Traducteur à l’Auteur des Nouvelles de la Republique des Lettres, à l’occaſion de la mort de M. Locke, & inſerée dans ces Nouvelles, Mois de Fevrier 1705. pag. 154.


MONSIEUR,



VOus venez d’apprendre la mort de l’illuſtre M. Locke. C’eſt une perte génerale. Auſſi eſt-il regretté de tous les gens de bien, de tous ſinceres Amateurs de la Vérité, auxquels ſon Caractére étoit connu. On peut dire qu’il étoit né pour le bien des hommes. C’eſt à quoi ont tendu la plûpart de ſes Actions : & je ne ſai ſi durant ſa vie il s’eſt trouvé en Europe d’homme qui ſe ſoit appliqué plus ſincerement à ce noble deſſein, & qui l’ait executé ſi heureusement.

Je ne vous parlerai point du prix de ſes Ouvrages. L’eſtime qu’on en fait, & qu’on en fera tant qu’il y aura du Bon-Sens & de la Vertu dans le Monde ; le bien qu’ils ont procuré ou à l’Angleterre en particulier, ou en général à tous ceux qui s’attachent ſérieuſement à la recherche de la Vérité, & à l’étude du Chriſtianiſme, en fait le véritable Eloge. L’Amour de la Vérité y paroit viſiblement par-tout. C’eſt dequoi conviennent tous ceux qui les ont lûs. Car ceux-là même qui n’ont pas goûté quelques-uns des Sentimens de M. Locke lui ont rendu cette juſtice, que la maniére dont il les défend, fait voir qu’il n’a rien avancé dont il ne fût ſincerement convaincu lui-même. Ses Amis lui ont rapporté cela de pluſieurs endroits : Qu’on objecte après cela, répondoit-il, tout ce qu’on voudra contre mes Ouvrages ; je ne m’en mets point en peine. Car puis qu’on tombe d’accord que je n’y avance rien que je ne croye véritable, je me ferai toûjours un plaiſir de préferer la Vérité à toutes mes opinions, dès que je verrai par moi-même ou qu’on me fera voir qu’elles n’y ſont pas conformes. Heureuſe diſpoſition d’Eſprit, qui, je m’aſſûre, a plus contribué, que la pénétration de ce beau Genie, à lui faire découvrir ces grandes & utiles Véritez qui ſont répandües dans ſes Ouvrages !

Mais ſans m’arrêter plus long-tems à conſiderer M. Locke ſous la qualité d’Auteur, qui n’eſt propre bien ſouvent qu’à maſquer le véritable naturel de la Perſonne, je me hâte de vous le faire voir par des endroits bien plus aimables & qui vous donneront une plus haute idée de ſon Mérite.

M. Locke avoit une grande connoiſſance du Monde & des affaires du Monde. Prudent ſans être fin, il gagnoit l’eſtime des hommes par ſa probité, & étoit toûjours à couvert des attaques d’un faux Ami, ou d’un lâche Flatteur. Eloigné de toute baſſe complaiſance ; ſon habileté, ſon expérience, ſes maniéres douces & civiles le faiſoient reſpecter de ſes Inferieurs, lui attiroient l’eſtime de ſes Egaux, l’amitié & la confiance des plus grands Seigneurs.

Sans s’ériger en Docteur, il inſtruiſoit par ſa conduite. Il avoit été d’abord aſſez porté à donner des conſeils à ſes Amis qu’il croyoit en avoir be-