Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
De la Puiſſance. Liv. II.

la puiſſance de chanter, ou que la puiſſance de chanter obéit, ou déſobéit à la puiſſance de parler, s’exprimeroit d’une maniére auſſi propre & auſſi intelligible.

§. 18. Cependant cette façon de parler a prévalu, & cauſé, ſi je ne me trompe, bien du déſordre ; car toutes ces choſes n’étant que différentes Puiſſances, dans l’Eſprit, ou dans l’Homme, de faire diverſes Actions, l’Homme les met en œuvre ſelon qu’il le juge à propos. Mais la puiſſance de faire une certaine Action, n’opère point ſur la puiſſance de faire une autre Action. Car la puiſſance de penſer n’opère non plus ſur la puiſſance de choiſir, ni la puiſſance de choiſir ſur celle de penſer, que la puiſſance de danſer opére ſur la puiſſance de chanter, ou la puiſſance de chanter ſur celle de danſer, comme tout homme qui voudra y faire reflexion, le reconnoîtra ſans peine. C’eſt pourtant là ce que nous diſons, lorſque nous nous ſervons de ces façons de parler, La Volonté agit ſur l’Entendement, ou l’Entendement ſur la Volonté.

§. 19. Je conviens que telle ou telle Penſée actuelle peut donner lieu à la Volition, ou pour parler plus nettement, fournir à l’Homme une occaſion d’exercer la puiſſance qu’il a de choiſir ; & d’autre part, le choix actuel de l’Eſprit peut être cauſe qu’il penſe actuellement un certain Air peut être l’occaſion de danſer une telle Danſe, & qu’une certaine Danſe peut être l’occaſion de danſer une telle Danſe, & qu’une certaine Danſe peut être l’occaſion de chanter un tel Air. Mais en tout cela ce n’eſt pas une Puiſſance qui agit ſur une autre Puiſſance, mais c’eſt l’Eſprit ou l’Homme qui met en œuvre ces différentes Puiſſances ; car les Puiſſances ſont des Relations & non des Agents. C’eſt celui qui fait l’Action qui a la puiſſance ou la capacité d’agir. Et par conſéquent, ce qui a, ou qui n’a pas la puiſſance d’agir, c’eſt cela ſeul qui eſt ou qui n’eſt pas libre, & non la Puiſſance elle-même ; car la Liberté, ou l’abſence de la Liberté ne peut appartenir qu’à ce qui a, ou n’a pas la puiſſance d’agir.

§. 20.La Liberté n’appartient pas à la Volonté. L’erreur qui a fait attribuer aux Facultez ce qui ne leur appartient pas, a donné lieu à cette façon de parler : mais la coûtume qu’on a pris en diſcourant de l’Eſprit, de parler de ſes différentes operations ſous le nom de Faculté, cette coûtume, dis-je, a, je croi, auſſi peu contribué à nous avancer dans la connoiſſance de cette partie de nous-mêmes, que le grand uſage qu’on a fait des Facultez, pour déſigner les opérations du Corps, a ſervi à nous perfectionner dans la connoiſſance de la Médecine. Je ne nie pourtant pas qu’il n’y ait des Facultez dans le Corps & dans l’Eſprit. Ils ont, l’un & l’autre, leurs Puiſſances d’opérer : autrement, ils ne pourroient operer ni l’un ni l’autre : car rien ne peut opérer, qui n’eſt pas capable d’opérer, & ce qui n’a pas la puiſſance d’opérer, n’eſt pas capable d’opérer. Tout cela eſt inconteſtable. Je ne nie pas non plus que ces mots & autres ſemblables ne doivent avoir lieu dans l’uſage ordinaire des Langues, où ils ſont communément reçus. Ce ſeroit une trop grande affectation de les rejetter abſolument. La Philoſophie elle-même peut s’en ſervir, car quoi qu’elle ne s’accommode pas d’une parure extravagante, cependant quand elle ſe montre en public, elle doit avoir la complaiſance de paroître ornée à la mode du Païs, je veux dire ſe ſervir des termes uſitez, autant que la