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des Subſtances. Liv. II.

faits, ſignifie purement & ſimplement qu’ils ne ſavent ce que c’eſt ; & que la choſe dont ils prétendent parler & avoir quelque connoiſſance, n’excite aucune idée dans leur Eſprit, & leur eſt par conſéquent tout-à-fait inconnuë. Comme donc toute l’idée que nous avons de ce que nous déſignons par le terme général de Subſtance, n’eſt autre choſe qu’un ſujet que nous ne connoiſſons pas, que nous ſuppoſons être le ſoûtien des Qualitez dont nous découvrons l’exiſtence, & que nous ne croyons pas pouvoir ſubſiſter fine reſubſtante, ſans quelque choſe qui les ſoûtienne, nous donnons à ce ſoûtien le nom de Subſtance qui rendu nettement en François ſelon ſa véritable ſignification veut dire * * En latin Quod ſubſtat. De différentes Eſpèces de Subſtances. ce qui eſt deſſous ou qui ſoûtient.

§. 3. Nous étant ainſi fait une idée obſcure & relative de la Subſtance en général, nous venons à nous former des idées d’eſpèces particuliéres de ſubſtances, en aſſemblant ces Combinaiſons d’Idées ſimples, que l’Expérience & les Obſervations que nous faiſons par le moyen des Sens, nous font remarquer exiſtant enſemble, & que nous ſuppoſons pour cet effet émaner de l’interne & particulière conſtitution ou eſſence inconnuë de cette Subſtance. C’eſt ainſi que nous venons à avoir les idées d’un Homme, d’un Cheval, de l’Or, du Plomb, de l’Eau, &c. desquelles Subſtances ſi quelqu’un a aucune autre idée que celle de certaines Idées ſimples qui exiſtent enſemble, je m’en rapporte à ce que chacun éprouve en ſoi-même. Les Qualitez ordinaires qui ſe remarquent dans le Fer ou dans un Diamant, conſtituent la véritable idée complexe de ces deux Subſtances qu’un Serrurier ou un Jouaillier connoit communément beaucoup mieux qu’un Philoſophe, qui, malgré tout ce qu’il nous dit des formes ſubſtantielles, n’a dans le fond aucune autre idée de ces Subſtances, que celle qui eſt formée par la collection des Idées ſimples qu’on y obſerve. Nous devons ſeulement remarquer, que nos Idées complexes des Subſtances, outre toutes les Idées ſimples dont elles ſont compoſées, emportent toûjours une idée confuſe de quelque choſe à quoi elles appartiennent & dans quoi elles ſubſiſtent. C’eſt pour cela que, lorsque nous parlons de quelque eſpèce de Subſtance, nous diſons que c’eſt une Choſe étenduë, figurée, & capable de Mouvement, que l’Eſprit eſt une Choſe capable de penſer. Nous diſons de même que la Dureté, la Friabilité & la puiſſance d’attirer le Fer, ſont des Qualitez qu’on trouve dans l’Aimant. Ces façons de parler & autres ſemblables donnent à entendre que la Subſtance eſt toûjours ſuppoſée comme quelque choſe de diſtinct de l’Etenduë, de la Figure, de la Solidité, du Mouvement, de la Penſée & des autres Idées qu’on peut obſerver, quoi que nous ne ſachions ce que c’eſt.

§. 4.Nous n’avons aucune idée claire de la Subſtance en général. Delà vient, que lorsque quelque Eſpèce particuliére de Subſtances corporelles, comme un Cheval, une Pierre, &c. vient à faire le ſujet de notre entretien & de nos penſées, quoi que l’idée que nous avons de l’une ou de l’autre de ces choſes ne ſoit qu’une combinaiſon ou collection de différentes Idées ſimples des Qualitez ſenſibles que nous trouvons unies dans ce que nous appellons Cheval ou Pierre, cependant comme nous ne ſaurions concevoir que ces Qualitez ſubſiſtent toutes ſeules, ou l’une dans l’autre, nous ſuppoſons qu’elles exiſtent dans quelque ſujet commun qui en eſt le ſoûtien ;