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& de Diverſité. Liv. II.

qu’il nomme ſoi-même, & par où il ſe diſtingue de toute autre choſe penſante : c’eſt auſſi en cela ſeul que conſiſte l’Identité perſonnelle, ou ce qui fait qu’un Etre raiſonnable eſt toûjours le même. Et auſſi loin que cette con-ſcience peut s’étendre ſur les actions ou les penſées déja paſſées, auſſi loin s’étend l’Identité de cette perſonne : le ſoi eſt préſentement le même qu’il étoit alors ; & cette action paſſée a été faite par le même ſoi que celui qui ſe la remet à préſent dans l’Eſprit.

§. 10.La Con-ſcience fait l’identité perſonnelle. Mais on demande outre cela, ſi c’eſt préciſément & abſolument la même Subſtance. Peu de gens penſeroient être en droit d’en douter, ſi les perceptions avec la con-ſcience qu’on en a ſoi-même, ſe trouvoient toûjours préſentes à l’Eſprit, par où la même Choſe penſante ſeroit toûjours ſciemment préſente, &, comme on croiroit, évidemment la même à elle-même. Mais ce qui ſemble faire de la peine dans ce point, c’eſt que cette con-ſcience eſt toûjours interrompuë par l’oubli, n’y ayant aucun moment dans notre vie, auquel tout l’enchaînement des actions que nous avons jamais faites, ſoit préſent à notre Eſprit ; c’eſt que ceux qui ont le plus de mémoire perdent de vûë une partie de leurs actions, pendant qu’ils conſiderent l’autre ; c’eſt que quelquefois, ou plûtôt la plus grande partie de notre vie, au lieu de reflêchir ſur notre ſoi paſſé, nous ſommes occupez de nos penſées préſentes, & qu’enfin dans un profond ſommeil, nous n’avons abſolument aucune penſée, ou aucune du moins qui ſoit accompagnée de cet-