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XXXI
PREFACE DE L’AUTEUR

Tel eſt le contentement de ceux qui laiſſent agir librement leur Eſprit dans la Recherche de la Vérité, & qui en écrivant ſuivent leurs propres penſées ; ce que vous ne devez pas leur envier, puisqu’ils vous fourniſſent l’occaſion de goûter un ſemblable plaiſir, ſi en liſant leurs Productions vous voulez auſſi faire uſage de vos propres penſées. C’eſt à ces penſées, que j’en appelle, ſi elles viennent de votre fond. Mais ſi vous les empruntez des autres hommes, au hazard & ſans aucun diſcernement, elles ne méritent pas d’entrer en ligne de compte, puisque ce n’eſt pas l’amour de la Vérité, mais quelque conſideration moins eſtimable qui vous les fait rechercher. Car qu’importe de ſavoir ce que dit ou penſe un homme qui ne dit ou ne penſe que ce qu’un autre lui ſuggere ? Si vous jugez par vous-même, je ſuis aſſûré que vous jugerez ſincerement ; & en ce cas-là, quelque cenſure que vous faſſiez de mon Ouvrage, je n’en ſerai nullement choqué. Car encore qu’il ſoit certain qu’il n’y a rien dans ce Traité dont je ne ſois pleinement perſuadé qu’il eſt conforme à la Vérité, cependant je me regarde comme auſſi ſujet à erreur qu’aucun de vous ; & je ſai que c’eſt de vous que dépend le ſort de mon Livre ; qu’il doit ſe ſoûtenir ou tomber, en conséquence de l’opinion que vous en aurez, non de celle que j’en ai conçu moi-même. Si vous y trouvez peu de choſes nouvelles ou inſtructives à votre égard, vous ne devez pas vous en prendre à moi. Cet Ouvrage n’a pas été compoſé pour ceux qui ſont maîtres ſur le ſujet qu’on y traite, & qui connoiſſent à fond leur propre Entendement, mais pour ma propre inſtruction, & pour contenter quelques Amis qui confeſſoient qu’ils n’étoient pas entrez aſſez avant dans l’examen de cet important ſujet. S’il étoit à propos de faire ici l’Hiſtoire de cet Eſſai, je vous dirois que cinq ou six de mes Amis s’étant aſſemblez chez moi & venant à diſcourir sur un point fort différent de celui que je traite dans cet Ouvrage, ſe trouverent bientôt pouſſez à bout par les difficultez qui s’éleverent de différens côtez. Après nous être fatiguez quelque temps, ſans nous trouver plus en état de reſoudre les doutes qui nous embarraſſoient, il me vint dans l’Eſprit que nous prenions un mauvais chemin ; & qu’avant que de nous engager dans ces ſortes de recherches, il étoit néceſſaire d’examiner notre propre capacité, & de voir quels objets ſont à notre portée, ou au deſſus de notre comprehenſion. Je propoſai cela à la compagnie, & tous l’approuverent auſſi-tôt. Sur quoi l’on convint que ce ſeroit là le ſujet de nos prémiéres recherches. Il me vint alors quelques penſées indigeſtes ſur cette matiére que je n’avois jamais examinée auparavant. Je les jettai ſur le papier ; & ces penſées formées à la hâte que j’écrivis pour les montrer à mes Amis, à notre prochaine entrevûë, fournirent la prémiere occaſion de ce Traité ; qui ayant été commencé par hazard, & continué à la ſollicitation de ces mêmes perſonnes, n’a été écrit que par piéces détachées : car après l’avoir long-temps négligé, je le repris ſelon que mon humeur, ou l’occaſion me le permettoit, & enfin pendant une retraite que je fis pour le bien de ma ſanté, je le mis dans l’état où vous le voyez préſentement.

En compoſant ainſi à diverſes repriſes, je puis être tombé dans deux défauts oppoſez, outre quelques autres, c’eſt que je me ſerai trop, ou trop peu étendu ſur divers ſujets. Si vous trouvez l’Ouvrage trop court, je ſerai bien aiſe que ce que j’ai écrit vous faſſe ſouhaiter que j’euſſe été plus loin. Et s’il vous paroit trop long, vous devez vous en prendre à la matiére : car lorſque je commençai de met-