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Des Relations Morales. Liv. II.

nos propres penſées ou que nous voulons faire entendre aux autres lorsque nous nous ſervons de mots, & qui renferme quelque relation, tout cela, dis-je, n’eſt autre choſe que certaines Idées ſimples, ou un aſſemblage de quelques Idées ſimples, comparées l’une avec l’autre. La choſe eſt ſi viſible dans cette eſpèce de Relations que j’ai nommé proportionnelles, que rien ne peut l’être davantage. Car lorsqu’un homme dit, Le Miel eſt plus doux que la Cire, il eſt évident que dans cette relation ſes penſées ſe terminent à l’idée ſimple de douceur ; & il en eſt de même de toute autre relation, quoi que peut-être quand nos penſées ſont extrêmement compliquées, on faſſe rarement reflexion aux Idées ſimples dont elles ſont compoſées. Par exemple, lorsqu’on employe le mot de Père, prémiérement on entend par-là cette eſpèce particuliére, ou cette idée collective ſignifiées par le mot homme ; ſecondement, les idées ſimples & ſenſibles, ſignifiées par le terme de génération ; & en troiſiéme lieu, ſes effets, & toutes les idées ſimples qu’emporte le mot d’Enfant. Ainſi le mot d’Ami étant pris pour un homme qui aime un autre homme & eſt prêt à lui faire du bien, contient toutes les Idées ſuivantes qui le compoſent ; prémiérement, toutes les idées ſimples compriſes ſous le mot Homme, ou Etre intelligent ; en ſecond lieu, l’idée d’amour ; en troiſiéme lieu, l’idée de diſpoſition à faire quelque choſe ; en quatriéme lieu l’idée d’action qui doit être quelque eſpèce de penſée ou de mouvement, & enfin l’idée de Bien, qui ſignifie tout ce qui peut lui procurer du bonheur, & qui à l’examiner de près, ſe termine enfin à des idées ſimples & particuliéres, dont chacune eſt renfermée ſous le terme de Bien en général, lequel terme ne ſignifie rien, s’il eſt entierement ſeparé de toute idée ſimple. Voilà comment les termes de Morale ſe terminent enfin, comme toute autre, à une collection d’idées ſimples, quoi que peut-être de plus loin, la ſignification immédiate des termes Relatifs contenant fort ſouvent des relations ſuppoſées connuës, qui étant conduites comme à la trace de l’une à l’autre ne manquent pas de ſe terminer à des Idées ſimples.

§. 19.Nous avons ordinairement une notion auſſi claire ou plus claire de la relation de ſon fondement. La ſeconde choſe que j’ai à remarquer, c’eſt que dans les Relations nous avons pour l’ordinaire, ſi ce n’eſt point toûjours, une idée auſſi claire du rapport, que des Idées ſimples ſur lesquelles il eſt fondé, la convenance ou la disconvenance d’où dépend la Relation étant des choſes dont nous avons communément des idées auſſi claires que de quelque autre que ce ſoit, parce qu’il ne faut pour cela que diſtinguer les idées ſimples l’une de l’autre, ou leurs différens dégrez, ſans quoi nous ne pouvons abſolument point avoir de connoiſſance diſtincte. Car ſi j’ai une idée claire de douceur, de lumiére, ou d’entenduë, j’ai auſſi une idée claire d’autant, de plus, ou de moins de chacune de ces choſes. Si je ſai ce que c’eſt à l’égard d’un homme d’être né d’une femme, comme de Sempronia, je ſai ce que c’eſt à l’égard d’un autre homme d’être né de la même Sempronia, & par-là je puis avoir une notion auſſi claire de la fraternité que de la naiſſance, & peut-être plus claire. Car ſi je croyais que Sempronia a pris Titus de deſſous un Chou, comme ([1]) on a accoûtumé de dire aux petits Enfans, & que par-là elle eſt de-

  1. Je ne ſai ſi l’on ſe ſert communément en France de ce tour, pour ſatisfaire la curiosité des Enfans ſur cet article. Je l’ai ouï employer dans ce deſſein. Quoi qu’il en ſoit, la choſe n’eſt pas de grande importance. On ſe ſert en Anglois d’un tour un peu différent, mais qui revient au même.