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Des Particules. Liv. III.

la connoiſſance de la vraye Religion. V. Mais qu’il vous confirme dans la vôtre. Le prémier de ces Mais déſigne une ſuppoſition dans l’Eſprit de quelque choſe qui eſt autrement qu’elle ne devroit être ; & le ſecond fait voir, que l’Eſprit met une oppoſition directe entre ce qui ſuit & ce qui précede.

VI. Mais ſert quelquefois de tranſition ([1]) pour revenir à un ſujet, ou pour quitter celui dont on parloit. Mais revenons à ce que nous diſions tantôt. ([2]) Mais laiſſons Chapelain pour la derniére fois.

§. 6. On n’a touché cette matiére que fort largement. A ces ſignifications du mot de Mais, j’en pourrois ajoûter ſans doute pluſieurs autres, ſi je me faiſois une affaire d’examiner cette Particule dans toute ſon étenduë, & de la conſiderer dans tous les Lieux où elle peut ſe rencontrer. Si quelqu’un vouloit prendre cette peine, je doute que dans tous les ſens qu’on lui donne, elle pût mériter le titre de diſcrétive, par où les Grammairiens la déſignent ordinairement. Mais je n’ai pas deſſein de donner une explication complete de cette eſpèce de ſignes. Les exemples que je viens de propoſer ſur cette ſeule particule, pourront donner occaſion de reflêchir ſur l’uſage & ſur la force que ces Mots ont dans le Diſcours, & nous conduire à la conſideration de pluſieurs actions que notre Eſprit a trouvé le moyen de faire ſentir aux autres par le ſecours de ces Particules, dont quelques-unes renferment conſtamment le ſens d’une Propoſition entiére, & d’autres ne le renferment que lors qu’elles ſont conſtruites d’une certaine maniére.


CHAPITRE VIII.

Des Termes abſtraits & concrets.


§. 1. Les termes abſtraits ne peuvent être affirmez l’un de l’autre et pourquoi.
LEs Mots communs des Langues, & l’uſage ordinaire que nous en faiſons, auroient pû nous fournir des lumiéres pour connoître la nature de nos Idées, ſi l’on eût pris la peine de les conſiderer avec attention. L’Eſprit, comme nous avons fait voir, a la puiſſance d’abſtraire ſes idées, qui par-là deviennent autant d’eſſences générales par où les choſes ſont diſtinguées en Eſpèces. Or chaque idée abſtraite étant diſtincte, en ſorte que de deux l’une ne peut jamais être l’autre, l’Eſprit doit appercevoir par ſa connoiſſance intuitive la différence qu’il y a entre elles ; & par conſéquent dans des Propoſitions deux de ces Idées ne peuvent jamais être affirmées l’une de l’autre. C’eſt ce que nous voyons dans l’Uſage ordinaire des Langues, qui ne permet pas que deux termes abſtraits, ou deux noms d’I-

  1. Une choſe digne de remarque, c’eſt que les Latins ſe ſervoient quelquefois de nam en ce ſens-là. Nam quid ego dicam de Partre, dit Terence, Andr. Act. I. Sc. VI. v. 18. Il ne faut que voir l’endroit pour être convaincu qu’on ne le peut mieux traduire en François que par ces paroles, Mais que dirai-je de mon Pere ? Ce qui, pour le dire en paſſant, prouve d’une maniére plus ſenſible ce que vient de dire M. Locke, qu’il ne faut pas chercher dans les Dictionnaires la ſignification de ces Particules, mais dans la diſpoſition d’eſprit où ſe trouve celui qui s’en ſert.
  2. Deſpreaux, Sat. IX. v. 242.