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De l’Imperfection des Mots. Liv. III.

tez, attachées au Langage, qui excepté les noms des Idées ſimples & quelques autres forts communs, ne ſauroit faire connoître d’une maniére claire & déterminée le ſens & l’intention de celui qui parle, à celui qui écoute, ſans de continuelles définitions des termes. Et dans les Diſcours de Religion, de Droit & de Morale, où les matiéres ſont d’une plus haute importance, on y trouvera auſſi de plus grandes difficultez.

§. 23. Le grand nombre de Commentaires qu’on a faits ſur le Vieux & ſur le Nouveau Teſtament, en ſont des preuves bien ſenſibles. Quoique tout ce qui eſt contenu dans le Texte ſoit infailliblement véritable, le Lecteur peut fort bien ſe tromper dans la maniére dont il l’explique, ou plûtôt il ne ſauroit éviter de tomber ſur cela dans quelque mépriſe. Et il ne faut pas s’étonner que la Volonté de Dieu, lorſqu’elle eſt ainſi revêtuë de paroles, ſoit ſujettes à des ambiguitez qui ſont inévitablement attachées à cette maniére de communication, puiſque ſon Fils même étoit ſujet à toutes les foibleſſes & à toutes les incommoditez de notre Nature, excepté le péché, tandis qu’il a été revêtu de la Chair humaine. Du reſte nous devons exalter ſa bonté de ce qu’il a daigné expoſer en caractéres ſi liſibles ſes Ouvrages & ſa Providence aux yeux de tout le Monde, & de ce qu’il a accordé au Genre Humain une aſſez grande meſure de Raiſon pour que ceux qui n’ont jamais entendu parler de ſa Parole écrite, ne puiſſent point douter de l’exiſtence d’un Dieu, ni de l’obéiſſance qui lui eſt duë, s’ils appliquent leur Eſprit à cette recherche. Puis donc que les Préceptes de la Religion Naturelle ſont clairs & tout-à-fait proportionnez à l’intelligence du Genre Humain, qu’ils ont rarement été mis en queſtion, & que d’ailleurs les autres Vérités revelées qui nous ſont inſtillées par des Livres & par le moyen des Langues, ſont ſujettes aux obſcuritez & aux difficultez qui ſont ordinaires & comme naturellement attachées aux Mots, ce ſeroit, ce me ſemble, une choſe bienſéante aux hommes de s’appliquer avec plus de ſoin & d’exactitude à l’obſervation des Loix naturelles, & d’être moins impérieux & moins déciſifs à impoſer aux autres le ſens qu’ils donnent aux Véritez que la Revelation nous propoſe.



CHAPITRE X.

De l’Abus des Mots.


§. 1. Abus des Mots.
OUtre l’imperfection naturelle au Langage, & l’obſcurité & la confuſion qu’il eſt ſi difficile d’éviter dans l’uſage des Mots, il y a pluſieurs fautes & pluſieurs négligences volontaires que les hommes commettent dans cette maniére de communiquer leurs penſées, par où ils rendent la ſignification de ces ſignes moins claire & moins diſtincte qu’elle ne devroit être naturellement.

§. 2. I. On ſe ſert de mots auxquels on n’attache aucune idée ou du moins aucune idée claire. Le prémier & le plus viſible abus qu’on commet en ce point, c’eſt qu’on ſe ſert de Mots auxquels on n’attache aucune idée claire & diſtincte,