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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/488

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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

re qui de ſa nature eſt évidemment deſtituée de ſentiment & de penſée, puiſſe être ce Premier Etre penſant qui exiſte de toute éternité. Car comment un homme peut-il s’aſſûrer, que quelques perceptions, comme vous diriez le Plaiſir & la Douleur, ne ſauroient ſe rencontrer dans certains Corps, modifiez & mûs d’une certaine maniére, auſſi bien que dans une Subſtance immaterielle en conſéquence du mouvement des parties du Corps ? Le Corps, autant que nous pouvons le concevoir, n’eſt capable que de frapper & d’affecter un Corps, & le Mouvement ne peut produire autre choſe que du mouvement, ſi nous nous en rapportons à tout ce que nos Idées nous peuvent fournir ſur ce ſujet ; de ſorte que lorſque nous concevons que le Corps produit le Plaiſir ou la Douleur, ou bien l’idée d’une Couleur ou d’un Son, nous ſommes obligez d’abandonner notre Raiſon, d’aller au delà de nos propres idées, & d’attribuer cette production au ſeul bon plaiſir de notre Créateur. Or puiſque nous ſommes contraints de reconnoître que Dieu a communiqué au Mouvement ſoit capable de produire, quelle raiſon avons-nous de conclurre qu’il ne pourroit pas ordonner que ces effets ſoient produits dans un Sujet que nous ne ſaurions concevoir capable de produire, auſſi bien que dans un Sujet que nous ne ſaurions concevoir capable de les produire, auſſi bien que dans un Sujet ſur lequel nous ne ſaurions comprendre que le Mouvement de la Matiére puiſſe opérer en aucune maniére ? Je ne dis point ceci pour diminuer en aucune ſorte la croyance de l’Immortalité de l’Ame. Je ne parle point ici de probabilité, mais d’une connoiſſance évidente ; & je croi que non ſeulement c’eſt une choſe digne de la modeſtie d’un Philoſophe de ne pas prononcer en maître, lorſque l’évidence requiſe pour produire la connoiſſance, vient à nous manquer, mais encore, qu’il nous eſt utile de diſtinguer juſqu’où peut s’étendre notre Connoiſſance ; car l’état ou nous ſommes préſentement, n’étant pas un état de viſion, comme parlent les Théologiens, la Foi & la Probabilité nous doivent ſuffire ſur pluſieurs choſes ; & à l’égard de l’Immaterialité de l’Ame dont il s’agit préſentement, ſi nos Facultez ne peuvent parvenir à une certitude démonſtrative ſur cet article, nous ne le devons pas trouver étrange. Toutes les grandes fins de la Morale & de la Religion ſont établies ſur d’aſſez bons fondemens ſans le ſecours des preuves de l’immaterialité de l’Ame tirées de la Philoſophie ; puiſqu’il eſt évident que celui qui a commencé à nous faire ſubſiſter ici comme des Etres ſenſibles & intelligens, & qui nous a conſervez pluſieurs années dans cet état, peut & veut nous faire jouïr encore d’un pareil état de ſenſibilité dans l’autre Monde, & nous y rendre capables de recevoir la retribution qu’il a deſtinée aux hommes ſelon qu’ils ſe ſeront conduits dans cette vie. C’eſt pourquoi la néceſſité de ſe déterminer pour ou contre l’immaterialité de l’Ame n’eſt pas ſi grande, que certaines gens trop paſſionnez pour leurs propres ſentimens ont voulu le perſuader : dont les uns ayant l’Eſprit trop enfoncé, pour ainſi dire, dans la Matiére, ne ſauroient accorder aucune exiſtence à ce qui n’eſt pas materiel ; & les autres ne trouvant point que la penſée ſoit renfermée dans les facultez naturelles de la Matiere, après l’avoir examinée en tout ſens avec toute l’application dont ils ſont capables, ont l’aſſûrance de conclurre de là, que Dieu lui-même ne