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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/502

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De l’Etenduë de la Connoiſſſance humaine. Liv. IV.

que peu d’Idées fort ſuperficielles que nous nous formons d’un Eſprit par la reflexion que nous faiſons ſur notre propre Eſprit, d’où nous déduiſons le mieux que nous pouvons l’idée du Pére des Eſprits, cet Etre éternel & indépendant qui a fait ces excellentes Créatures, qui nous a faits avec tout ce qui exiſte, nous n’avons aucune connoiſſance des autres Eſprits, non pas même de leur exiſtence, autrement que par le ſecours de la Revelation. L’exiſtence actuelle des Anges & de leurs différentes Eſpèces, eſt naturellement au delà de nos découvertes ; & toutes ces Intelligences dont il y a apparemment plus de diverſes ſortes que de Subſtances corporelles, ſont des choſes dont nos Facultez naturelles ne nous apprennent abſolument rien d’aſſuré. Chaque homme a ſujet d’être perſuadé par les paroles & les actions des autres hommes qu’il y a en eux une Ame, un Etre penſant auſſi bien que dans ſoi-même ; & d’autre part la connoiſſance qu’on a de ſon propre Eſprit, ne permet pas à un homme qui a fait quelque reflexion ſur la cauſe de ſon exiſtence d’ignorer qu’il y a un Dieu. Mais qu’il y ait des dégrez d’Etres ſpirituels entre nous & Dieu, qui eſt-ce qui peut venir à le connoître par ſes propres recherches & par la ſeule pénétration de ſon Eſprit ? Encore moins pouvons-nous avoir des idées diſtinctes de leurs différentes natures, conditions, états, puiſſances & diverſes conſtitutions, par où ces Etres diffèrent les uns des autres & de nous. C’eſt pourquoi nous ſommes dans une abſoluë ignorance ſur ce qui concerne leurs différentes Eſpèces & leurs diverſes Propriétez.

§. 28.II. Autre ſource de notre ignorance, c’eſt ce que nous ne pouvons pas trouver la connexion qui eſt entre les idées que nous avons. Après avoir vû combien parmi ce grand nombre d’Etres qui exiſtent dans l’Univers il y en a peu qui nous ſoient connus, faute d’idées, conſiderons, en ſecond lieu, une autre ſource d’Ignorance qui n’eſt pas moins important, c’eſt que nous ne ſaurions trouver la connexion qui eſt entre les Idées que nous avons actuellement. Car par-tout où cette connexion nous manque, nous ſommes entiérement incapables d’une Connoiſſance univerſelle & certaine ; & toutes nos vûës ſe réduiſent comme dans le cas précedent à ce que nous pouvons apprendre par l’Obſervation & par l’Experience, dont il n’eſt pas néceſſaire de dire qu’elle eſt fort bornée & bien éloignée d’une Connoiſſance générale, car qui ne le ſait ? Je vais donner quelques exemples de cette cauſe de notre Ignorance, & paſſer enſuite à d’autes choſes. Il eſt évident que la groſſeur, la figure & le mouvement des différens Corps qui nous environnent, produiſent en nous différentes ſenſations de Couleurs, de Sons, de Gout ou d’Odeurs, de plaiſir ou de douleur, &c. Comme les affections mechaniques de ces Corps n’ont aucune liaiſon avec ces Idées qu’elles produiſent en nous (car on ne ſauroit concevoir aucune liaiſon entre aucune impulſion d’un Corps quel qu’il ſoit, & aucune perception de couleur ou d’odeur que nous trouvions dans notre Eſprit) nous ne pouvons avoir aucune connoiſſance diſtincte de ces ſortes d’operations au delà de notre propre expérience, ni raiſonner ſur leur ſujet que comme ſur des effets produits par l’inſtitution d’un Agent infiniment ſage, laquelle eſt entierement au deſſus de notre comprehenſion. Mais tout ainſi que nous ne pouvons déduire, en aucune maniére, les idées des Qualitez ſenſibles que nous avons dans l’Eſprit, d’aucune cauſe corpo-