qui voudroit qu’il fît uſage des Facultez de diſcerner les Objets, deſquelles il l’a enrichi pour le préſerver des mépriſes & de l’Erreur. Celui qui ne les employe pas à cet uſage autant qu’il eſt en ſa puiſſance, a beau voir quelquefois la Vérité, il n’eſt dans le bon chemin que par hazard ; & je ne ſai ſi le bonheur de cet accident excuſera l’irrégularité de ſa conduite. Ce qu’il y a de certain, au moins, c’eſt qu’il doit être comptable de toutes les fautes où il s’engage : au lieu que celui qui fait uſage de la Lumiére & des Facultez que Dieu lui a données, & qui s’applique ſincerement à découvrir la Vérité, par les ſecours & l’habilité qu’il a, peut avoir cette ſatisfaction en faiſant ſon devoir comme une Créature raiſonnable, qu’encore qu’il vînt à ne pas rencontrer la Vérité, ſa recherche ne laiſſera pas d’être récompenſée. Car celui-là règle toûjours bien ſon Aſſentiment & le place comme il doit, lorſqu’en quelque cas ou ſur quelque matiére que ce ſoit, il croit ou refuſe de croire ſelon que ſa Raiſon l’y conduit. Celui qui fait autrement, pêche contre ſes propres Lumiéres, & abuſe de ces Facultez qui ne lui ont été données pour aucune autre fin que pour chercher & ſuivre la plus claire évidence, & la plus grande probabilité. Mais parce que la Raiſon & la Foi ſont miſes en oppoſition par certaines perſonnes, nous allons les conſidérer ſous ce rapport dans le Chapitre ſuivant.
CHAPITRE XVIII.
De la Foi & de la Raiſon ; & de leurs bornes diſtinctes.
§. 1. Il eſt néceſſaire de connoitre les bornes de la Foi & de la Raiſon.
Ous avons montré ci-deſſus, 1. Que nous ſommes néceſſairement dans l’Ignorance, & que toute ſorte de Connoiſſance nous manque, là où les Idées nous manquent, 2. Que nous ſommes dans l’ignorance & deſtituez de Connoiſſances raiſonnée, dès que les preuves nous manquent. 3. Que la Connoiſſance générale & la certitude nous manquent, par-tout où les Idées ſpécifiques, claires & déterminées viennent à nous manquer. 4. Et enfin, Que la Probabilité nous manque pour diriger notre Aſſentiment dans des matiéres où nous n’avons ni connoiſſance par nous-mêmes, ni témoignage de la part des autres hommes ſur quoi notre Raiſon puiſſe ſe fonder.
De ces quatres choſes préſuppoſées, on peut venir, je penſe, à établir les bornes qui ſont entre la Foi & la Raiſon : connoiſſance dont le défaut à certainement produit dans le Monde de grandes Diſputes & peut-être bien des mépriſes, ſi tant eſt qu’il n’y ait pas cauſé auſſi de grands deſordres. Car avant que d’avoir déterminé juſqu’où nous ſommes guidez par la Raiſon, & juſqu’où nous ſommes conduits par la Foi, c’eſt en vain que nous diſputerons, & que nous tâcherons de nous convaincre l’un l’autre ſur des Matiéres de Religion.
§. 2.Ce que c’eſt que la Foi & la Raiſon entant qu’elles ſont diſtinctes l’une de l’autre. Je trouve que dans chaque Secte on ſe ſert avec plaiſir de la Raiſon autant qu’on en peut tirer quelque ſecours ; & que, dès que la Raiſon vient