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De l’Enthouſiaſme. Liv. IV.

revelée. Cela étant, ne leur eſt-il pas de la derniére importance d’examiner ſur quel fondement ils préſument que c’eſt une Revelation qui vient de Dieu ? Sans cela, leur confiance ne ſera que pure préſomption ; & cette lumiére dont ils ſont ſi fort éblouïs, ne ſera autre choſe qu’un Feu follet qui les promenera ſans ceſſe autour de ce cercle, C’eſt une Revelation parce que je le croi fortement, & je le croi parce que c’eſt une Revelation.

§. 11.L’Enthouſiaſme ne ſauroit prouver qu’une Propoſition vient de Dieu. A l’égard de tout ce qui eſt de revelation divine, il n’eſt pas néceſſaire de le prouver autrement qu’en faiſant voir que c’eſt véritablement une inſpiration qui vient de Dieu, car cet Etre qui eſt tout bon & tout ſage ne peut ni tromper ni être trompé. Mais comment pourrons-nous connoître qu’une Propoſition que nous avons dans l’Eſprit, eſt une vérité que Dieu nous a inſpirée, qu’il nous a revelée, qu’il expoſe lui-même à nos yeux, & que pour cet effet nous devons croire ? C’eſt ici que l’Enthouſiaſme manque d’avoir l’évidence à laquelle il prétend. Car les perſonnes prévenuës de cette imagination ſe glorifient d’une lumiére qui les éclaire, à ce qu’ils diſent, & qui leur communique la connoiſſance de telle ou telle vérité. Mais s’ils connoiſſent que c’eſt une vérité, ils doivent le connoître ou par ſa propre évidence, ou par les preuves naturelles qui le démontrent viſiblement. S’ils voyent & connoiſſent que c’eſt une vérité par l’une de ces deux voyes, ils ſuppoſent en vain que c’eſt une Revelation ; car ils connoiſſent que cela eſt vrai par la même voye que tout autre homme le peut connoître naturellement ſans le ſecours de la Revelation, puiſque c’eſt effectivement ainſi que toutes les véritez que des hommes non-inſpirez viennent à connoître, entrent dans leurs Eſprits & s’y établiſſent de quelque eſpèce qu’elles ſoient. S’ils diſent qu’ils ſavent que cela eſt vrai, parce que c’eſt une Revelation émanée de Dieu, la raiſon eſt bonne : mais alors on leur demandera, comment ils viennent à connoître que c’eſt une Revelation qui vient de Dieu. S’ils diſent qu’ils le connoiſſent par la lumiére que la choſe porte en elle, lumiére qui brille, qui éclatte dans leur Ame & à laquelle ils ne ſauroient réſiſter, je les prierai de conſiderer ſi cela ſignifie autre choſe que ce que nous avons déja remarqué, ſavoir, Que c’eſt une Revelation parce qu’ils croyent fortement qu’il eſt véritable ; toute la lumiére dont ils parlent, n’étant qu’une perſuaſion fortement établie dans leur Eſprit, mais ſans aucun fondement que c’eſt une vérité. Car pour des fondemens raiſonnables, tirez de quelque preuve qui montre que c’eſt une vérité, ils doivent reconnoître qu’ils n’en ont point ; parce que, s’ils en ont, ils ne le reçoivent plus comme une Revelation, mais ſur les fondemens ordinaires ſur leſquels on reçoit d’autres véritez : & s’ils croyent qu’il eſt vrai parce que c’eſt une Revelation, & qu’ils n’ayent point d’autre raiſon pour prouver que c’eſt une Revelation ſinon qu’ils ſont pleinement perſuadez qu’il eſt véritable ſans aucun autre fondement que cette même perſuaſion, ils croyent que c’eſt une Revelation ſeulement parce qu’ils croyent fortement que c’eſt une Revelation ; ce qui eſt un fondement très-peu ſûr pour s’y appuyer, tant à l’égard de nos opinions qu’à l’égard de notre conduite. Et je vous prie, quel autre moyen peut être plus propre à nous précipiter dans les erreurs & dans mes mépriſes les plus extravagantes, que de prendre ainſi notre