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Que nuls Principes

Dieu, ou bien, qu’il y en a beaucoup d’autres qu’il faudroit mettre dans ce rang, ſi l’on étoit fondé à croire qu’il y en eût aucune qui y fût gravée de cette maniere. Car il y a d’autres propoſitions, qui, ſuivant les propres Règles de Mylord Herbert, ont pour le moins autant de droit à une telle origine, & peuvent auſſi bien paſſer pour innées, que quelques-unes de ces cinq qu’il rapporte, comme par exemple, cette Règle de Morale, Faites comme vous voudriez qu’il vous fût fait, & peut-être cent autres, ſi l’on prenoit la peine de les chercher.

§. 17. En ſecond lieu, toutes les marques qu’il donne d’un Principe inné, ne ſauroient convenir à chacune de ces cinq Propoſitions. Ainſi, la prémiére, la ſeconde & la troiſiéme de ces marques ne conviennent pas parfaitement à aucune de ces Propoſitions : & la prémiére, la ſeconde, la troiſiéme, la quatriéme, & la ſixiéme quadrent fort mal à la troiſiéme Propoſition, à la quatriéme & à la cinquiéme. On pourroit ajoûter, que nous ſavons certainement par l’Hiſtoire, non-ſeulement que pluſieurs perſonnes, mais des Nations entiéres regardent quelques-unes de ces propoſitions, ou même toutes, comme douteuſes, ou comme fauſſes. Mais cela mis à part, je ne ſaurois voir comment on peut mettre au nombre des Principes innez la troiſiéme Propoſition, dont voici les propres termes, la Vertu jointe avec la piété, eſt le Culte le plus excellent qu’on puiſſe rendre à la Divinité : tant le mot de Vertu eſt difficile à entendre, tant la ſignification en eſt équivoque, & la choſe qu’il exprime, diſputée & mal-aiſée à connoître. D’où il s’enſuit qu’une telle Règle de pratique ne peut qu’être fort peu utile à la conduite de notre vie ; & que par conſéquent elle n’eſt nullement propre à être miſe au nombre des Principes de pratique qu’on prétend être innez.

§. 18. Conſiderons, pour cet effet, cette Propoſition ſelon le ſens qu’elle peut recevoir ; car ce qui conſtituë & doit conſtituer un Principe ou une Notion commune, c’eſt le ſens de la Propoſition & non pas le ſon des termes qui ſervent à l’exprimer. Voici la Propoſition : La Vertu eſt le Culte le plus excellent qu’on puiſſe rendre à Dieu, c’eſt-à-dire, qui lui eſt le plus agréable. Or ſi on prend le mot de Vertu dans le ſens qu’on lui donne le plus communément, je veux dire pour les actions qui paſſent pour louables selon les différentes opinions qui regnent en différens Païs, tant s’en faut que cette Propoſition ſoit évidente, qu’elle n’eſt pas même véritable. Que ſi on appelle Vertu les actions qui ſont conformes à la Volonté de Dieu, ou à la Règle qu’il a preſcrite lui-même, qui eſt le véritable & le ſeul fondement de la Vertu, à entendre par ce terme ce qui eſt bon & droit en lui-même : en ce cas-là, rien n’eſt plus vrai ni plus certain que cette Propoſition, La Vertu eſt le Culte le plus excellent qu’on puiſſe rendre à Dieu. Mais elle ne ſera pas d’un grand uſage dans la vie humaine, puiſqu’elle ſignifiera autre choſe, ſinon que Dieu ſe plaît à voir pratiquer ce qu’il commande : vérité dont un homme peut être entierement convaincu ſans ſavoir ce que c’eſt que Dieu commande, de ſorte que faute d’une connoiſſance plus déterminée il ſe trouvera tout auſſi éloigné d’avoir une Règle ou un Principe de conduite, que ſi cette Vérité-là lui étoit tout-à-fait inconnuë. Or je ne penſe pas qu’une Propoſition qui n’emporte autre choſe ſinon que Dieu ſe plaît à voir