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Qu’il n’y a point

qu’un même homme quoi qu’ils euſſent vécu éloignez de pluſieurs ſiécles l’un de l’autre : Et, ſi le Cocq dans lequel cette même Ame paſſa enſuite, étoit le même qu’Euphorbe & que Pythagore. Il paroîtra peut-être par l’embarras où il ſera de réſoudre cette Question, que l’idée d’Identité n’eſt pas ſi établie, ni ſi claire, qu’elle mérite de paſſer pour innée. Or ſi ces idées, qu’on prétend être innées, ne ſont ni assez claires ni aſſez diſtinctes, pour être univerſellement connuës, & reçuës naturellement, elles ne ſauroient ſervir de fondement à des véritez univerſelles & indubitables, mais elles ſeront au contraire une occaſion certaine d’une perpetuelle incertitude. Car ſuppoſé que tout le monde n’ait pas la même idée de l’identité que Pythagore, & mille de ſes Sectateurs en ont eu ; quelle eſt donc la véritable idée de l’identité, celle qui nous eſt naturelle, & qui eſt proprement née avec nous ? ou bien, y a-t-il deux idées d’identité, différentes l’une de l’autre, qui ſoient pourtant toutes deux innées ?

§. 5. C’est en vain qu’on repliqueroit à cela, que les Questions que je viens de propoſer ſur l’identité de l’homme, ne ſont que de vaines ſpéculations : car quand cela ſeroit, on ne laiſſeroit pas d’en pouvoir conclurre, qu’il n’y a aucune idée innée de l’identité dans l’Eſprit des hommes. D’ailleurs, quiconque conſiderera, avec un peu d’attention, la Reſurrection des Morts, où Dieu ſera ſortir du Tombeau les mêmes hommes qui ſeront morts auparavant, pour les juger & les rendre heureux ou malheureux ſelon qu’ils auront bien ou mal vêcu dans cette vie, quiconque, dis-je, fera quelque réflexion ſur ce qui doit arriver alors à tous les hommes, aura peut-être aſſez de difficulté à déterminer en lui-même ce qui fait le même homme, ou en quoi conſiſte l’identité, & n’aura garde de s’imaginer que lui ou quelque autre que ce ſoit, & les Enfans eux-mêmes, en ayent naturellement une idée claire & diſtincte.

§. 6.Les idées de Tout & de Partie ne ſont point innées. Examinons ce Principe de Mathematique, Le tout eſt plus grand que ſa partie. Je ſuppoſe qu’on le met au nombre des Principes innez, & je ſuis aſſûré qu’il peut y être mis avec autant de raiſon, qu’aucun autre Principe que ce ſoit. Cependant perſonne ne peut regarder ce principe comme inné, s’il conſidére que les idées de Tout & de Partie qu’il renferme, ſont parfaitement relatives, & que les idées poſitives auxquelles elles ſe rapportent proprement & immédiatement, ſont celles d’Extenſion & de Nombre, dont ce qu’on nomme Tout & Partie ne ſont que de ſimples relations. De ſorte que, ſi les idées de Tout & de Partie étoient innées, il faudroit que celles d’Extenſion & de Nombre le fuſſent auſſi, car il eſt impoſſible d’avoir l’idée d’une Relation, ſans en avoir aucune de la choſe même à laquelle cette Relation appartient, & ſur quoi elle eſt fondée. Du reſte, je laiſſe à examiner aux Partiſans des Principes innez, ſi les idées d’Extenſion & de Nombre ſont naturellement gravées dans l’Ame de tous les hommes.

§. 7.L’idée d’Adoration n’eſt pas innée. Une autre vérité qui eſt, ſans contredit, l’une des plus importantes qui puiſſent entrer dans l’Eſprit des Hommes & qui mérite de tenir le prémier rang parmi tous les Principes de pratique, c’eſt, Que Dieu doit