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Page:London - Belliou la fumée, trad. Postif, 1941.djvu/18

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BELLIOU-LA-FUMÉE

ton déshonneur, dit-il. Ton père était un homme, des pieds à la tête. Comprends-tu ? Un homme ! Et je crois bien qu’il t’aurait épousseté de toutes ces idioties musicales et artistiques à coups de baleines sur le dos.

— Ô temps, ô mœurs de décadence ! soupira Kit.

— Je pourrais comprendre, je pourrais tolérer, ces inepties, reprit l’oncle d’un ton sauvage, si seulement tu réussissais là-dedans. Mais tu n’as jamais gagné un cent de ta vie, et quant aux œuvres viriles, à des travaux d’homme, jamais tu n’as rien fait.

— Des eaux-fortes, des tableaux, des éventails, suggéra Kit d’un air peu conciliant.

— Tu n’es qu’un bousilleur, un raté. Qu’as-tu peint en fait de tableaux ? Tu as barbouillé des aquarelles mignardes et des affiches de cauchemar. Tu n’as jamais pu en faire recevoir une seule dans une exposition, même ici à San Francisco.

— Ah ! pardon. Vous oubliez qu’il y en a une à ce club même, dans le salon des Pitres.

— Une grossière caricature. Quant à la musique, parlons-en ! Ta pauvre folle de mère a dépensé des centaines de dollars pour te faire donner des leçons. Tu as barboté et échoué, tu n’as jamais gagné seulement cinq dollars en accompagnant quelqu’un dans un concert. Tes chansons ? Des airs de rag-time, qui n’ont jamais été imprimés et qui ne sont chantés que par une bande de bohèmes et de fumistes.

— J’ai fait publier un livre, ces sonnets, vous vous souvenez ? insinua Kit avec humilité.

— Combien cela t’a-t-il coûté ?

— Pas plus de deux cents dollars.

— Quoi d’autre en fait de chef-d’œuvre ?

— J’ai fait jouer une pièce champêtre au théâtre des Pitreries d’été.