Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/127

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grave maladie. Sans doute avait-il eu un accès de fièvre paludéenne. Ouvrir ses yeux était pour lui à ce point pénible qu’il se résolut à les maintenir fermés.

Un bout de branche, qui flottait sur le fleuve, vint heurter contre le bateau et fit un coup sec. Marcus O’Brien pensa que quelqu’un frappait à la porte de sa cabane et il répondit :

— Entrez !

Il attendit un instant. Puis, comme personne n’entrait, il ajouta :

— Reste donc dehors ! Et que le diable t’emporte !

Il n’aurait, au fond, point été fâché que le quidam fût entré, et d’apprendre de lui quelque chose d’un peu précis sur sa maladie.

Peu à peu, cependant, tandis qu’il demeurait toujours immobile, à la même place, le souvenir de la nuit précédente commençait à se reconstruire dans sa cervelle. Il songea qu’il n’avait nullement été malade. Il s’était seulement enivré, et il était l’heure pour lui de se lever et de se rendre à son travail. L’idée de travail engendra celle de son filon et il se souvint que de celui-ci il avait refusé dix mille dollars. Soudain il se mit debout et, du mieux qu’il put, écarquilla ses yeux.

Il s’aperçut qu’il était dans un bateau, qui flottait sur les eaux brunes et gonflées du Yukon. Ni les rives, ni les îles couvertes de sapins, qui défilaient devant lui, ne lui étaient familières. Il en fut abasourdi. Il n’arrivait pas à comprendre. Il se remémorait bien son orgie de la veille au soir. Mais aucun lien n’existait entre elle et sa situation.

Il referma les yeux et appuya sur sa main sa tête douloureuse. Que s’était-il donc passé ? Une idée terrible surgit dans son cerveau. Il se débattit contre elle et s’efforça de la chasser. Mais elle persistait.

Il avait tué quelqu’un !

Cela seul pouvait expliquer pourquoi il se trouvait,