Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/205

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faiblesse s’en accrut et la morsure du froid en devint plus cruelle.

Et, jour après jour, il continuait à épier la piste morte, qui refusait de s’animer pour lui.

Puis ce fut au tour du scorbut, de passer de la première phase à la seconde. La peau devint incapable d’éliminer par transpiration les impuretés du sang, et le résultat en fut que le corps commença d’enfler.

Les chevilles, d’abord, se boursouflèrent, et la souffrance, chaque nuit, tint éveillé Morganson durant de longues heures. L’enflure gagna ensuite les genoux et la somme de douleurs se décupla pour l’homme.

Là-dessus, survint une nouvelle saute de froid. La température baissa, baissa, baissa. Quarante, quarante-cinq, cinquante degrés sous zéro.

Morganson ne possédait pas de thermomètre. Mais il se rendait compte de la marche du gel par une série de signes et de phénomènes naturels, que connaissent tous les hommes du Klondike : le craquement soudain de l’eau, tiède ou bouillante, jetée sur la neige ; la rapidité aiguë de la morsure du froid ; la promptitude avec laquelle la respiration gelait et se condensait, comme un verglas, sur les murs de toile de la tente et à son plafond.

En vain Morganson tenta de lutter contre cette froidure excessive et s’efforça de continuer à monter la garde sur la berge du fleuve. Sa faiblesse le rendait une proie facile à l’inclémence de la température et le gel eut le temps d’enfoncer profondément ses dents dans son être, avant qu’il se résignât à rentrer sous sa tente et à s’accroupir près de son poêle.

La conclusion de son équipée fut la perte d’un de ses pouces, qui resta gelé jusqu’à la première jointure.

Et, comme par une monstrueuse ironie, tandis que

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