Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/207

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Un autre homme seul passa sur la piste. Morganson reconnut le porteur du courrier. Mais s’attaquer à lui eût été imprudent. La disparition d’un personnage de cette importance ne serait pas restée inaperçue. Il était sage de s’abstenir.

Le lendemain du jour où la provision de farine fut complètement épuisée, il neigea. La neige coïncidait toujours avec un adoucissement sensible de la température.

Durant huit heures consécutives, Morganson, ce jour-là, resta dehors à l’affût, sans faire un mouvement, aussi affamé que patient, et semblable à une araignée monstrueuse guettant sa proie.

Mais la proie s’obstina à ne pas venir et, dans la nuit tombée, Morganson, de son pas pesant, s’en retourna vers sa tente, où il but avant de se coucher plusieurs litres de tisane de bourgeons de sapin et d’eau chaude.

Le jour suivant, le mauvais sort desserra son emprise. Comme il sortait de sa tente, Morganson aperçut un énorme élan qui, à quelque quatre cents mètres, traversait le marécage.

Il sentit aussitôt le sang bouillir et circuler dans ses veines, et il se dressa debout, rapide comme l’éclair. Mais une faiblesse le prit, sans qu’il sût pourquoi, et des nausées lui montèrent de l’estomac. Il lui fallut se rasseoir, pendant quelques instants, afin de récupérer des forces.

Il courut à son fusil, épaula et visa soigneusement La balle avait certainement porté. Mais la bête, insuffisamment atteinte, fit volte-face et partit d’un trait dans la direction de la colline boisée qui, vers le Nord, bordait le marécage.

À travers arbres et broussailles. Morganson déchargea farouchement plusieurs cartouches sur l’élan qui s’enfuyait. Puis il cessa de tirer, ayant songé qu’il convenait de ne pas gaspiller ses munitions, dont il

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