Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

broussailles. L’échafaudage était par terre. Les loups avaient dévoré toute la viande. Ils se sauvaient, la panse lourde, aussi vite qu’ils le pouvaient, ne laissant derrière eux que les gros os.

Morganson se rendit compte immédiatement du processus du désastre. Utilisant le tronc d’arbre tombé, et où des empreintes de pattes étaient encore visibles sur la neige, un premier loup avait dû bondir, d’un saut formidable, jusqu’au faîte de l’échafaudage. Jamais Morganson n’aurait cru qu’un loup pût réussir un pareil bond.

Un second loup avait suivi le premier, puis un troisième et un quatrième, jusqu’à ce que la frêle construction se fût écroulée sous le choc et le poids des bêtes. Et toute la bande, alors, avait fait ripaille à son aise.

Durant un instant, l’homme demeura immobile, à contempler, d’un regard farouche, l’étendue de la catastrophe. Plus rien ne subsistait du bonheur rêvé.

Puis il reprit la maîtrise de soi. L’éternelle et stoïque patience reparut dans ses yeux, et il se mit en devoir de réunir les débris abandonnés par les loups.

Les os rongés, et grattés à blanc, renfermaient intérieurement de la moelle. Et, en fouillant bien dans la neige, il retrouva quelques reliefs du festin des brutes qui, vu l’abondance de la proie, les avaient dédaignés.

Morganson passa le reste de la matinée à charrier jusqu’à sa tente les morceaux de l’élan et ses débris bienheureux. Une dizaine de livres de bonne viande lui demeuraient, en outre, de ce qu’il avait, la veille, apporté avec lui. Il évalua le tout, mis en tas, et déclara :

— Il y en a là pour plusieurs semaines. Tout va bien !

Ce n’était pas d’aujourd’hui qu’il avait appris à ménager la nourriture et à vivre quand même.

221