Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/49

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L’animal était déprimé par le froid prodigieux. Il savait que ce n’était pas là un temps pour voyager. Son instinct l’en avertissait plus sûrement que le raisonnement n’avait su le faire pour l’homme. Celui-ci eût-il eu un thermomètre, ce n’était pas, en effet, cinquante degrés, ni soixante, ni soixante-dix, mais soixante-quinze au-dessous du point de congélation que l’appareil eût marqués.

Le chien ignorait tout des thermomètres. Sa notion du froid n’avait point la précision des calculs humains. Mais, en son cerveau rudimentaire, une crainte vague naissait, qui l’écrasait sous sa menace. La bête, angoissée, se glissait derrière l’homme, silencieuse, interrogeant ardemment tous ses gestes, comme si elle s’attendait, à tout moment, à le voir s’en revenir vers le dernier campement ou, s’arrêtant, chercher quelque part un abri, pour y construire un feu.

Le husky connaissait la nécessité du feu, par un tel froid. En l’absence de la flamme bienfaisante, il eût du moins souhaité se creuser un trou dans la neige, pour s’y tapir à l’abri de l’air. Son haleine congelée avait poudré d’un givre blanc et cristallin ses bajoues, ses sourcils et son museau.

La barbe rousse de l’homme et ses moustaches étaient congelées, elles aussi, mais plus solidement. Le dépôt de givre s’y transformait en un dépôt de glace, dont l’épaisseur augmentait à chaque bouffée de l’humide et tiède respiration qu’il exhalait.

L’homme, de plus, chiquait et la muselière de glace qui lui encastrait les lèvres les rendait à ce point rigides qu’il lui était impossible de les faire jouer pour expectorer le jus de tabac. En sorte que celui-ci, mêlé à sa salive, ruisselait sur sa barbe, en stalactites, qui avaient la couleur brunâtre et la dureté de l’ambre, et dont la longueur augmentait sans cesse au-dessous de son menton.