Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/58

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plus en plus gros. Il était certain de réussir ainsi. Et réussir était indispensable. Lorsque le thermomètre est à cent sept sous zéro, il importe de ne point commettre d’impair en construisant son feu, surtout si l’on a les pieds mouillés. Avec les pieds secs, si l’on échoue, il suffit, pour les réchauffer, de courir sur sa piste pendant un demi-mille. Mais, à cette température, lorsque les pieds sont mouillés et en train de geler, le procédé est contre-indiqué. Car plus rapide est la course, et plus fort les pieds gèleront.

Tout cela, l’homme le savait. Le vieux père, dans sa cabane, sur le Sulphur Creek, l’en avait averti, et il appréciait maintenant ses avis. Déjà il ne sentait plus ses orteils et, comme il avait dû, de nouveau, pour construire son feu, sortir ses mains des mitaines, ses doigts, eux aussi, commençaient à geler.

Tant qu’il avait marché à l’allure de quatre milles à l’heure, la circulation du sang, du cœur aux extrémités, s’était accomplie normalement. Mais, à l’instant précis où il s’était arrêté, le sang avait fait de même. Comme le chien, le sang redoutait le froid et s’en cachait, fuyant les extrémités, plus exposées, du corps de l’homme, pour se retirer au tréfonds de son être.

L’homme sentait, sur toute la surface du corps, sa peau se refroidir. Mais la vie n’était pas entamée en lui. Le feu commençait à flamber superbement. Le moment approchait où il allait pouvoir l’alimenter avec de grosses bûches. Alors il enlèverait ses chaussures et, pendant qu’elles sécheraient, il réchaufferait ses pieds au brasier, non sans les avoir au préalable selon le rite coutumier, frictionnés avec de la neige. Non, sa vie n’était pas entamée. Il songea au vieux père, sur le Sulphur Creek, et sourit.

L’ancien lui avait très sérieusement, exposé que nul homme, au Klondike, ne devait s’aventurer à voyager seul, au-delà de cinquante degrés sous zéro. C’était une loi absolue.