Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/67

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course avait ramené en son corps quelque chaleur. S’il pouvait la continuer assez longtemps, il atteindrait le campement et rejoindrait ceux qui l’attendaient. Là, il serait bien soigné et les camarades sauveraient de lui ce qui n’était pas encore entièrement gelé.

Mais une autre pensée surgissait. Non, non, il n’arriverait jamais au campement… Trop de milles l’en séparaient. Trop profondément le gel l’avait mordu. Bientôt, il tomberait raide mort.

Cette pensée, il s’évertuait à la chasser. Il refusait de s’y arrêter, de la considérer en face. Mais, toujours plus poignante, elle s’imposait, se vrillait en lui. De toutes ses forces il la repoussait, s’efforçant de songer à d’autres choses.

Il lui semblait extrêmement bizarre de pouvoir courir, comme il le faisait sur des pieds totalement gelés. Si gelés qu’il ne les sentait même pas toucher le sol. Son corps ne paraissait point peser sur eux. Il effleurait la neige, sans ressentir le contact. L’homme avait vu naguère, quelque part dans une ville, une statue de Mercure Ailé. Il se demandait si ce Mercure n’éprouvait pas la même sensation que lui donnait cet effleurement du tapis de neige.

Il était fou, à la vérité, de prétendre atteindre le campement en courant ainsi. Comment s’imaginer que ses forces affaiblies ne le trahiraient pas ?

Plusieurs fois déjà il avait trébuché. Finalement il chancela, contracta ses muscles pour rétablir son équilibre, puis tomba.

En vain, l’homme essaya de se relever. Il était à bout. Il s’assit donc sur la neige et décida de se reposer quelque temps, avant de continuer son voyage ; mais, cette fois, sans courir.

Tout en reprenant haleine, il constata que si son nez, ses joues, ses pieds, ses mains demeuraient insensibles, une bonne et confortable chaleur ardait