Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

livraient à lui, par leurs cris et leurs appels, tandis qu’il courait, silencieux, à pas de velours, comme une ombre mobile parmi les arbres, à la manière de son père et de sa mère.

Un autre de ses tours favoris consistait à faire perdre sa trace aux petits chiens, en traversant quelque cours d’eau. Parvenu sur l’autre rive, il s’étendait tranquillement sous un buisson et se divertissait en écoutant les cris de déception qui ne manquaient pas de s’élever.

Dans cette situation d’hostilité perpétuelle avec tous les êtres vivants, toujours attaqué ou attaquant, et toujours indomptable, le développement spirituel de Croc-Blanc était rapide et unilatéral. L’état dans lequel il se trouvait n’était pas un sol favorable pour faire fleurir affection et bonté. C’était là sentiments dont le louveteau n’avait pas la moindre lueur. Le seul code qui lui avait été enseigné était d’obéir au fort et d’opprimer le faible. Castor-Gris était un dieu et un fort. Croc-Blanc, par conséquent lui obéissait. Mais les chiens plus jeunes que lui, ou moins vigoureux, étaient des faibles, c’est-à-dire une chose bonne à détruire. Son éducation avait pour directive le culte du pouvoir. Il se fit plus vif dans ses mouvements que les autres chiens du camp, plus rapide à courir, plus alerte, avec des muscles et des nerfs de fer, plus résistant, plus cruel, plus féroce et meurtrier, plus rusé et plus intelligent. Il était nécessaire qu’il devînt tout cela, pour qu’il pût résister et survivre à l’ambiance ennemie qui l’enveloppait.