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Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/157

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donné, sur l’emplacement déserté où s’étaient élevées les tentes, flairant les tas de décombres et les détritus laissés par les dieux. Combien il se fût réjoui d’une volée de pierres, lancées sur lui par une femme irritée, combien heureux eût-il été de la lourde main de Castor-Gris s’abattant sur lui pour le frapper ! Même Lip-Lip eût été le bienvenu, et avec lui les grondements de la troupe entière des chiens.

Il arriva ainsi à la place de la tente de Castor-Gris et, au beau milieu du sol, il s’assit, puis pointa son nez vers la lune. Parmi les spasmes qui lui contractaient le gosier, il ouvrit sa gueule béante, et une clameur en jaillit, qui venait de son cœur brisé, qui disait sa solitude et son effroi, son chagrin d’avoir perdu Kiche, toutes ses peines et toutes ses misères passées, et son appréhension aussi des dangers de demain. Ce fut, pour la première fois, le long et lugubre hurlement du loup, lancé par lui, à pleine gorge.

L’aube du jour dissipa une partie de ses craintes, mais accrut le sentiment de sa solitude, par le spectacle de la terre nue qui s’étendait autour de lui. Sa résolution fut bientôt arrêtée. Il s’enfonça à nouveau dans la forêt et, suivant la rive du fleuve, il entreprit d’en descendre le cours.

Il courut toute la journée, sans prendre aucun repos. Son corps de fer ignorait la fatigue et semblait créé pour courir toujours. Une hérédité d’endurance rendait possible au louveteau un effort sans fin et lui permettait d’imposer à sa chair, même meurtrie, de marcher quand même en avant. Là où le fleuve se resserrait entre des fa-