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Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/167

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entièrement parcouru le cercle du monde au milieu duquel il vivait, et la notion qui lui en demeurait était toute matérielle et dénuée d’idéal. Le monde avait achevé de lui apparaître féroce et brutal, un monde où n’existaient ni affection, ni caresse, un monde sans chaleur pour les cœurs et sans charme pour l’esprit.

Il ne ressentait pas d’affection pour Castor-Gris. C’était un dieu, il est vrai, mais un dieu sauvage entre tous, qui jamais ne caressait ni ne prononçait une bonne parole. Croc-Blanc, sans doute, était heureux de reconnaître sa suprématie physique, sous l’égide de laquelle il était venu du Wild, pour s’abriter. Mais il subsistait en sa nature des profondeurs insondées, que Castor-Gris avait toujours ignorées. L’Indien administrait la justice avec un gourdin. Il récompensait le mérite, non par une bienveillante caresse, mais simplement en ne frappant pas.

Et cette main de l’animal-homme, qui eût pu lui être si douce, ne semblait au louveteau qu’un organe fait pour distribuer pierres, claques, coups de fouet et de bâton, pinçons et tiraillements douloureux du poil et de la chair. Plus cruelle encore que la main des hommes était celle des enfants, lorsqu’il rencontrait des bandes de ceux-ci, dans les campements d’Indiens que croisait la caravane. Une fois même, il avait failli avoir un œil crevé par un flageolant et titubant papoose[1]. Depuis lors, il ne pouvait tolérer les enfants. Dès qu’il

  1. Papoose, petit enfant, dans le dialecte des Peaux-Rouges. (Note des Traducteurs.)