Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/56

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réunis autour d’une table servie, et attendant qu’on leur permît de commencer à manger.

Puis, comme machinalement, ses yeux retombaient sur lui-même, et il examinait son corps avec une attention bizarre, qui ne lui était pas habituelle. Il tâtait ses muscles et les faisait jouer, s’intéressant prodigieusement à leur mécanisme. À la lueur du foyer, il ouvrait, étendait ou refermait les phalanges de ses doigts, émerveillé de l’obéissance et de la souplesse de sa main qui, avec brusquerie ou douceur, trépidait à sa volonté, jusqu’au bout des ongles. Et, comme fasciné, il se prenait d’un incommensurable amour pour ce corps admirable, auquel il n’avait, jusque-là, jamais prêté attention, d’une tendresse infinie pour cette chair vivante, destinée bientôt à repaître des brutes, à être mise en lambeaux. Qu’était-il désormais ? Un simple mets pour des crocs affamés, une subsistance pour d’autres estomacs, l’égal des élans et des lapins dont il avait tant de fois, lui-même, fait son dîner.

À quelques pieds devant lui, la louve aux reflets rouges était assise dans la neige et le regardait, pensive. Leurs regards se croisèrent. Il comprit sans peine qu’elle se délectait de lui, par anticipation. Sa gueule s’ouvrait, avec gourmandise, découvrant les crocs blancs jusqu’à leur racine. La salive lui découlait des lèvres, et elle se pourléchait de la langue. Un spasme d’épouvante secoua Henry. Il fit un geste brusque, pour se saisir d’un brandon et le lancer à la louve. Mais celle-ci, non moins rapidement, s’était éclipsée. Alors il se remit à contempler sa main, avec