Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/65

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Le vieux loup borgne avait près de lui, du côté opposé à la louve, un jeune loup de trois ans, arrivé au terme de sa croissance, et qui pouvait passer pour un des plus vigoureux de la troupe. Les deux bêtes, quand elles étaient lasses, s’appuyaient amicalement l’une sur l’autre, de l’épaule ou de la tête. Mais le jeune loup, par moments, ralentissant sa marche d’un air innocent, se laissait dépasser par son vieux compagnon et, sans être aperçu, se glissait entre lui et la louve. La louve, frôlée par ce troisième amoureux, se mettait à gronder et se retournait. Le vieux loup en faisait autant, et aussi le grand loup gris, qui était à droite.

Devant cette triple rangée de dents redoutables, le jeune loup s’arrêtait brusquement et s’asseyait sur son derrière, droit sur ses pattes de devant, grinçant des crocs, lui aussi, et hérissant le poil de son dos. Une confusion générale en résultait parmi les autres loups, ceux qui fermaient la marche pressant ceux du front, qui finalement s’en prenaient au jeune loup et lui administraient des coups de crocs à foison. Il supportait ce traitement sans broncher et, avec la foi sans limites qui est l’apanage de la jeunesse, il répétait de temps à autre sa manœuvre, quoiqu’elle ne lui rapportât rien de bon.

Les loups couvrirent dans cette journée un grand nombre de milles[1], sans briser, dans ces incidents, leur formation serrée. À l’arrière, boitaient les plus faibles, les très jeunes comme les

  1. Le mille anglais vaut 1 609 mètres. (Note des Traducteurs.)