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Page:London - En pays lointain.djvu/63

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QUAND UN HOMME SE SOUVIENT

— La vie, c’est combattre pour sa peau, répétait-il volontiers, et, sur ce thème, il brodait des variations.

— Je n’ai jamais eu la moindre chance de réussir. Handicapé dès ma naissance, j’ai sucé le malheur avec le lait de ma mère. Les dés étaient pipés quand elle m’a conçu et je suis né pour prouver qu’elle avait perdu la partie. Ce n’était tout de même pas une raison pour m’en vouloir et me traiter comme un jeu sans atout ; c’est pourtant ce qu’elle a fait !… Hélas !

« Pourquoi ma mère, ou tout au moins la société, ne m’ont-elles pas donné une chance ? Comment se fait-il que j’aie connu la débine à Seattle et mis le cap sur Nome pour y vivre comme un pourceau ? D’abord, pourquoi ai-je eu envie de fumer et me suis-je trouvé sans allumettes ? Pourquoi suis-je entré à l’Eldorado demander du feu alors que je me rendais chez le Grand Pete ?

« Tu vois bien. Tout, absolument tout, conspirait contre moi. J’étais vaincu avant de naître, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Et pas moyen d’en sortir.

« Voici ce qui explique ma conduite dans cette affaire et l’attitude de John Randolph, qui leur donnait le mot et en même temps ramassait ses jetons. Le diable l’emporte ? Tant pis pour lui ! Que n’a-t-il retenu sa langue ! J’aurais pu risquer ma chance. Il savait bien que j’étais presque à sec. Et pourquoi n’ai-je pu retenir ma main ? Ah ! pourquoi ? pourquoi ? »