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moi, je pouvais continuer à m’en abstenir sans le moindre inconvénient. Et certes, jusqu’au jour de ma mort, j’aurais réussi à m’en passer si les circonstances n’en avaient décidé autrement, si, à chaque tournant du monde où je vivais, John Barleycorn ne m’avait attendu et fuit signe, sans qu’il y eût moyen de l’éviter. Il me fallut une intimité de vingt ans, durant lesquels je lui rendis politesses sur politesses et, ne le quittai jamais sans avoir la langue en feu, avant de développer en moi-même un amour servile pour le gredin.

CHAPITRE IV

Au ranch italien

À l’âge de sept ans, je me débauchai pour la deuxième fois en la compagnie de John Barleycorn. Dans cette rencontre, mon imagination n’était pas fautive, car je me laissai entraîner par la peur. Ma famille s’occupait toujours d’agriculture. Elle travaillait maintenant dans une ferme sur le littoral du comté de San Mateo, au sud de San Francisco, campagne, en ce temps-là, primitive et sauvage.

J’ai souvent entendu ma mère tirer vanité de ce que nous étions des Américains de vieille souche et non pas, comme nos voisins, des émigrants irlandais ou italiens. Dans tout notre district, il n’y avait qu’une autre vieille famille américaine.

Un dimanche matin, je me trouvais, je ne me rappelle ni pourquoi ni comment, au ranch des Marrisey. Un certain nombre de jeunes gens, venus des propriétés voisines, s’y étaient réunis. Leurs aînés y avaient bu jusqu’à l’aurore, certains depuis la veille au soir. Les Marrisey constituaient une énorme lignée de nombreux petits-fils et oncles aux lourdes bot-