Page:London - La saoulerie américaine, trad Postif, paru dans L'Œuvre du 1925-11-03 au 1926-01-05.pdf/20

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Matt tuer Tom Morrisey ce matin-là, je ne tenais nullement à me donner en spectacle aux danseurs, recevant un coup de couteau dans mon dos à moi. Je n’avais pas encore appris à distinguer entre les théories et les faits. J’avais une foi aveugle dans les dires de ma mère sur le caractère italien.

En outre, j’avais une vague notion du caractère sacré de l’hospitalité, et en ce moment j’étais l’hôte d’un de ces Italiens traîtres, irascibles et sanguinaires. On m’avait fait croire que, si je l’offensais, il me donnerait un coup de couteau aussi sûrement qu’un cheval envoie des ruades à qui le tracasse de trop près.

Cet Italien, ce Pierre, possédait justement les terribles yeux noirs dont ma mère m’avait parlé, ne ressemblait en rien à ceux que je connaissais, aux yeux bleus, gris ou noisette de mes parents, aux yeux pâles et rieurs des Irlandais. Il est possible que Pierre eût déjà quelques verres dans le nez.

Quoi qu’il en soit, une lueur diabolique brillait dans ses prunelles sombres qui représentaient pour moi le mystère et l’inconnu. Comment aurais-je pu, moi moutard de sept ans, analyser la flamme d’espièglerie qui les animait ? En les regardant, j’eus la vision d’une mort violente et je refusai timidement le vin. Quand il repoussa le gobelet vers moi, leur expression devint plus dure, plus impérieuse.

Que pouvais-je faire ? Depuis, dans ma vie, j’ai affronté la mort pour tout de bon, mais jamais je n’en ai eu aussi peur qu’à ce moment-là. Je portai le verre à mes lèvres et le regard de Pierre s’adoucit aussitôt.

Je compris qu’il ne me tuerait pas maintenant. Cette pensée me soulagea, mais je n’en puis dire autant du breuvage. C’était du vin nouveau et à bon marché, âpre et