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abstinent. Le magister même de notre petite école campagnarde, homme grisonnant d’une cinquantaine d’années, nous octroyait des vacances les jours où il avait eu le dessous avec John Barleycorn. Je n’éprouvais donc aucune contrainte morale. Mon aversion pour l’alcool était purement physiologique. Je n’aimais pas la sacrée drogue, voilà tout.

CHAPITRE V

L’attrait des bars


Je n’ai jamais pu surmonter ce dégoût physique. Mais je l’ai dompté et, aujourd’hui encore, je le réprime chaque fois que je prends un verre. Le palais ne cesse pas de se révolter ; on peut s’en rapporter a lui de ce qui est bon ou mauvais pour le corps. Cependant, les hommes ne boivent pas pour savourer l’effet produit sur l’organisme ; c’est l’excitation du cerveau qu’ils recherchent et, si le corps doit en souffrir, tant pis pour lui.

Malgré toute ma répugnance pour la boisson, j’avoue que les moments les plus ensoleillés de ma vie d’enfant, je les ai passés dans les débits.

Juché sur les lourds chariots de pommes de terre, je disparaissais dans le brouillard et j’avais les pieds engourdis faute de mouvement ; les chevaux martelaient, sans se presser, le chemin creux dans les collines de sable, et j’entrevoyais une vision radieuse qui m’empêchait de trouver le temps long : c’était la salle d’auberge de Colma, où mon père et, à défaut, l’homme qui conduisait ne manquaient jamais de s’arrêter. Je descendais aussi pour me chauffer près du gros poêle et manger un soda cracker[1]. On ne m’en

  1. Biscuit mince et sec, souvent dur et cassant, particulier aux États-Unis. (N. D. T.).