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luées ; et les voix montent et dominent avec une ardeur toute latine, pour trancher la question de Dieu, de l’art, de la démocratie et autres problèmes non moins simples de l’existence.

Dans un coup de vent sur le Rio de la Plata, nous formons le projet, si nous sommes désemparés, de nous réfugier à Buenos-Ayres, « le Paris de l’Amérique », et me voilà assailli de visions ; je me représente les salles illuminées où s’assemblent les hommes, la gaîté avec laquelle ils lèvent leurs verres pour trinquer, les chants, les applaudissements et le bourdonnement des voix joyeuses. Au cours d’un voyage dans le Nord du Pacifique, lorsque nous eûmes rencontré les alizés, nous essayâmes de décider notre capitaine, qui était mourant, à cingler vers Honolulu, et, tout en le persuadant, je me revoyais en train de boire des cocktails sous les lanais et des breuvages pétillants à Waikiki, où le ressac se précipite.

Quelqu’un parle de la façon dont on fait cuire le canard sauvage dans les restaurants de San-Francisco, et immédiatement je suis frappé par l’éclat et le bruit de tables nombreuses, et je regarde de vieux amis à travers le rebord doré d’une coupe à long pied pleine de vin du Rhin.

Et c’est ainsi que je me suis posé le problème. Je n’aimerais pas revoir tous ces beaux coins du monde autrement que dans mes précédentes visites, c’est-à-dire autrement que le verre en main. Il y a dans cette expression même une sorte de magie ; elle en dit plus long que n’importe quel assemblage de mots du dictionnaire. C’est une coutume mentale à laquelle j’ai été entraîné toute ma vie, et qui a fini par s’in-