Page:London - La saoulerie américaine, trad Postif, paru dans L'Œuvre du 1925-11-03 au 1926-01-05.pdf/47

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J’avais une constitution splendide, un estomac qui eût digéré de la ferraille, et j’étais encore en pleine possession de moi-même quand Scotty se mit à donner des signes d’épuisement dans cette course de Marathon. Sa conversation devint incohérente. Il cherchait des mots sans les trouver et ne pouvait articuler ceux qui arrivaient sur ses lèvres. Sa conscience commençait à lui faire défaut. L’éclat de ses yeux se ternissait et leur expression devenait aussi stupide que ses tentatives pour parler. Son corps s’affaissait, tout comme sa raison, car on ne peut se tenir droit que par un effort de volonté. Le cerveau vacillant de Scotty ne pouvait plus contrôler ses muscles. Toutes les coordinations de ses mouvements se détraquaient. Il essaya de boire encore, mais le gobelet échappa à sa main débile. Alors, je le vis, à ma grande surprise, pleurer amèrement, rouler sur le dos dans une couchette et, aussitôt, s’endormir en ronflant.

Le harponneur et moi, nous continuâmes à boire avec un ricanement d’êtres supérieurs, en regardant Scotty étalé devant nous.

Le dernier flacon fut vidé par nous deux aux sons des ronflements du vaincu. Puis ce fut au tour du harponneur de disparaître dans sa couchette, et je restai seul debout sur le champ de bataille.

J’étais très fier, et John Barleycorn aussi. Je pouvais supporter ma boisson. ; j’étais un homme. J’en avais enivré deux, verre pour verre, jusqu’à complet abrutissement. Et je tenais toujours sur mes jambes, bien droit, en gagnant le pont pour donner de l’air à mes poumons en feu.

C’est au cours de cette orgie sur l’Idler que me fut révélée l’endurance de mon estomac et de ma tête — petite découverte qui devait être une source d’orgueil pour les années à venir, mais que j’en suis venu