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était un des modes de l’existence que je menais, une habitude des hommes avec oui j’étais mêlé. Lorsque je partais en croisière sur la baie, je n’emportais aucun spiritueux ; au large, jamais l’envie de la boisson ne me tourmentait. Mais, une fois le Razzle-Dazzle à quai, et dès que je pénétrais dans ces lieux de réunion qui bordent la côte, où l’alcool coulait à flots, l’idée s’implantait chez moi que l’offrande et l’acceptation mutuelles de liquides constituaient un devoir social.

Parfois, lorsque mon bateau était amarre à quai ou mouillé de l’autre côté de l’estuaire, sur le banc de sable, la Reine, sa sœur, son frère Pat et Mrs Hadley venaient à bord. En ma qualité d’hôte, je ne pouvais offrir l’hospitalité que sous la forme admise par mes invités. Je dépêchais l’Araignée, l’Irlandais ou Scotty, ou qui conque composait mon équipage, avec le bidon pour la bière ou la dame-jeanne pour le vin rouge.

Il arrivait aussi, par certains jours embrumés, quand je me trouvais à quai en train de vendre mes huîtres, que d’énormes policemen ou des mouchards en civil montaient à bord du Razzle-Dazzle. Vivant dans la crainte constante des policiers, nous nous empressions d’ouvrir des huitres pour les offrir aux intrus, avec un jet de sauce au poivre, et nous envoyions quelqu’un remplir notre cruche de bière ou chercher du tord-boyaux en bouteille.

J’avais beau lever le coude, je ne parvenais pas à aimer John Barleycorn. Je le prisais fort pour les gens avec qui il frayait, mais je détestais son goût particulier. Pendant toute cette époque, je m’efforçais de paraître un homme parmi les hommes, tout en caressant le désir inavouable de sucer des sucreries. Je serais mort plutôt que de le laisser deviner. Les nuits où je savais que mon équipage allait