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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/11

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à dire de ces buveurs excessifs que l’on appelle des dipsomanes, car je n’attache pas la moindre importance à leur manie exceptionnelle.

Il existe, généralement parlant, deux types d’ivrognes : celui que nous connaissons tous, stupide, sans imagination, dont le cerveau est rongé par de faibles lubies ; il marche les jambes écartées, d’un pas mal assuré et s’étale fréquemment dans le ruisseau ; il voit, au paroxysme de son extase, des souris bleues et des éléphants rosés. C’est ce type-là qui provoque la verve des journaux comiques.

L’autre type d’ivrogne a de l’imagination et des visions. Cependant, même lorsqu’il tient une sérieuse cuite, il marche droit, sans jamais chanceler ni tomber, car il sait exactement où il se trouve et ce qu’il fait. Ce n’est pas son corps qui est ivre, mais son cerveau. Selon le cas, il pétillera d’esprit ou s’épanouira dans une bonne camaraderie. Peut-être entreverra-t-il des spectres et fantômes, mais intellectuels, d’ordre cosmique et logique, dont la vraie forme est celle de syllogismes. C’est alors qu’il met à nu les plus saines illusions de la vie et considère gravement le collier de fer de la nécessité rivé à son âme. L’heure est venue pour John Barleycorn. Il va mettre toute sa ruse à exercer son pouvoir.

L’ivrogne ordinaire roule facilement dans le ruisseau, mais quelle terrible épreuve, pour l’autre, de se tenir droit, bien assuré sur ses deux jambes, et de conclure que dans l’univers entier il n’existe pour lui qu’une seule liberté : celle de devancer le jour de sa mort. Pour un tel homme, cette heure est celle de la raison pure (dont nous reparlerons ailleurs), où il sait qu’il