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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/156

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séparait mon amour naissant pour une fille brune en béret.

Dès que j’eus entendu son histoire, je retournai en hâte près de Louis, craignant déjà d’avoir perdu mon premier amour après le premier coup d’œil. Mais je pouvais me fier à Louis. Chaque jour Haydée passait devant l’atelier de forgeron où il travaillait, en allant et revenant de l’école Lafayette. De plus, il l’avait vue parfois en compagnie de Ruth, une autre écolière, dont Nita, notre vendeuse de sucres d’orge, était l’amie. Il nous fallait donc aller voir Nita et la décider à confier un mot à Ruth, qui le transmettrait à Haydée. Si l’affaire s’arrangeait, je n’avais plus qu’à écrire mon billet.

C’est ce qui arriva. Pendant des rencontres dérobées ‘d’une demi-heure, je connus toute la douce folie d’un amour entre enfants. Ce n’est certainement pas la passion la plus forte du monde, mais je puis affirmer que c’en est la plus suave. Oh, quand j’y pense avec des années de recul ! Jamais gamine n’eut un amoureux plus innocent que moi, si déluré, cependant, et si violent pour son âge. J’ignorais tout de la femme. Moi qu’on avait surnommé « Prince des Pilleurs d’huîtres », qui pouvais faire, partout au monde, figure d’homme parmi des hommes, capable de manœuvrer des voiliers, de demeurer dans la mâture en pleine nuit et dans la tempête, ou d’entrer dans les pires bouges d’un port pour jouer mon rôle dans les bagarres ou inviter tout le monde au comptoir, je ne savais que dire ou que faire avec ce frêle brin de femme, dont la robe arrivait juste au-dessus des bottines, et qui était aussi profondément ignorante de la vie