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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/259

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un long voyage, de crainte de ne point trouver à boire en route, j’emportais un litre ou plusieurs dans ma valise. Jadis, de pareilles pratiques m’avaient étonné chez les autres ; aujourd’hui je m’y adonnais sans vergogne. Sortais-je avec mes camarades ? Je jetais tous mes principes pardessus bord, je buvais comme eux, des mêmes liqueurs, et sans jamais rester en arrière.

Tout autour de moi je transportais une atmosphère embrasée d’alcool, qui s’alimentait de son propre feu et flambait de plus belle. Pas un seul moment, en dehors des heures de sommeil, où je ne voulusse boire ! Il m’arriva d’anticiper sur l’achèvement de ma tâche quotidienne en prenant un verre après le cinq centième mot. À ce train-là je ne tardai pas à boire en guise de préface, avant même de m’atteler à la besogne.

Entrevoyant trop bien les conséquences graves où m’entraînait une pareille méthode, je me traçai une nouvelle ligne de conduite : je m’abstiendrais résolument de boire avant d’avoir terminé mon travail. Hélas ! Je n’avais pas envisagé la nouvelle complication, diabolique, celle-là, qui s’ensuivit. Rien ne venait plus, mais rien de rien ! Je commençais à me révolter malgré moi. J’éprouvais maintenant le besoin impérieux de boire, et il me dominait.

Je m’asseyais à mon bureau devant ma page blanche, et je me mettais à jouer avec ma plume ou mon buvard, mais les mots refusaient de couler. Mon cerveau, continuellement obsédé par l’unique souci de sentir John Barleycorn caché dans la cave aux liqueurs, restait incapable de rassembler mes pensées. Lorsque, en désespoir de cause, je succombais à la tentation, mon