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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/264

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vieillesse elle-même conserve jusqu’au bout une certaine décence, une certaine dignité et quelque valeur. Pourtant, sa vraie forme est celle d un épouvantai ! squelettique trébuchant sous les coups entre les brancards d’une charrette de revendeur, poursuivant éperdument, dans une servitude sans pitié, son calvaire de lente désintégration, jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la dispersion de ses éléments, — de sa chair subtile, de ses muscles rosés et élastiques, et de toute leur sensibilité inhérente — jusqu’à leur répartition entre le poulailler de ferme, la vannerie, la fabrique de colle et l’usine de noir animal. Jusqu’au dernier faux pas de sa carrière chancelante, ce cheval de trait doit s’en tenir aux données de cette vérité mineure qui est la vérité de la vie et rend possible sa persistance.

Le cheval de trait, comme tous les autres animaux, l’homme y compris, est aveuglé par la vie et reste le jouet de ses sens. Coûte que coûte, il veut vivre. Le jeu de la vie est bon, malgré toutes les misères, bien que toutes les existences perdent en fin de compte la partie. Voilà le genre de vérité qui gouverne, non pas l’univers, mais les êtres qui l’habitent, s’ils veulent durer tant soit peu avant de disparaître. Cette vérité-là, si fausse qu’elle puisse être, est saine et normale, c’est une vérité rationnelle à laquelle les vivants doivent croire afin de vivre.

Seul parmi les animaux, l’homme jouit du terrible privilège de la raison. L’homme, avec son cerveau, peut transpercer le mirage enivrant des choses et contempler un univers figé dans la plus parfaite indifférence envers lui et ses rêves. Oui, l’homme peut entrevoir cette vision, mais