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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/272

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mutuellement, sont et ne sont plus ; ils vacillent et s’effacent pour reparaître sous des formes différentes. Tu es un de ces fantômes, composé d’innombrables apparences surgies du passé. Tout ce que peut connaître un fantôme n’est que mirage. Tu connais les mirages du désir. Ces mirages mêmes sont d’inimaginables concrétions d’apparences transmises par le passé, pour te modeler d’après elles et te dissoudre ensuite en d’autres apparences destinées à peupler la terre des fantômes de l’avenir. La vie apparaît et passe. Tu n’es qu’une apparence. Parmi toutes les apparitions qui t’ont précédé et font partie de toi, tu as passé en balbutiant et tu te dissoudras dans la procession des spectres surgis après toi du marécage de l’évolution.

Naturellement, il n’y a rien à répondre. Je galope à travers les ombres du soir et je ricane en pensant à ce grand fétiche ainsi que Comte appelait le monde. Et je me souviens de cette phrase d’un autre pessimiste : « Tout est transitoire. Les êtres, étant nés, doivent mourir, et, une fois morts, ils sont heureux d’être en repos. »

Mais voici que dans le crépuscule s’avance un être qui n’est pas heureux d être en repos. C’est un vieux travailleur du ranch, un immigrant italien. Il me tire son chapeau en toute servilité, parce qu’à ses yeux je suis un seigneur de la vie ; je représente pour lui la nourriture, l’abri et l’existence. Il a travaillé toute sa vie comme une bête et il a vécu avec moins de confort que mes chevaux dans leurs stalles bien garnies de paille. Le travail l’a rendu infirme : il traîne les pieds en marchant. Il a une épaule beaucoup plus haute que l’autre. Ses mains sont des serres