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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/36

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connaître développèrent chez moi un esprit plastique.

Les cabarets n’étaient pas la moindre des attractions qui excitaient ma curiosité. Combien en ai-je fréquentés ! À cette époque, je m’en souviens, il y avait à l’est de Broadway, entre la 6e et la 7e Rue, un énorme pâté de maisons dont les boutiques, d’un coin à l’autre, n’étaient que bistrots.

Les hommes élevaient la voix, riaient à gorge déployée, et il y régnait une atmosphère de grandeur. Cela tranchait sur l’existence quotidienne, où il ne se passait jamais rien. La vie était toujours mouvementée, parfois même tragique, lorsque les coups pleuvaient, que le sang giclait et que de solides policemen faisaient irruption en masse. Ces minutes mémorables, pendant lesquelles défilaient dans ma tête les rixes terribles et les valeureuses équipées de tous les aventuriers de terre et de mer, contrastaient avec les heures insipides où, le long des rues, je lançais mes journaux sur le pas des portes. Dans les tavernes, les abrutis mêmes vautrés sur les tables, ou dessous, dans la sciure, prenaient pour moi un attrait mystérieux.

Les bars n’étaient pas seulement romanesques : ils étaient légaux, autorisés et sanctionnés par les pères de la cité. Étaient-ce donc là ces lieux terribles imaginés par les camarades qui n’avaient pas, comme moi, l’occasion d’y pénétrer ? Peut-être étaient-ils terribles, oui, mais terriblement merveilleux, et c’est précisément ce genre de terreur qu’un gosse aspire à connaître. Dans le même sens, les actes de piraterie, les naufrages et les batailles sont choses effrayantes,