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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/43

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tord-boyaux dans des gobelets. Devais-je paraître moins fort, moins brave que le harponneur et le marin ?

Ils étaient des hommes, et en témoignaient par leur façon de boire, indice infaillible de virilité. Je bus donc avec eux, coup sur coup, sans hésiter, bien que la sale drogue ne pût se comparer avec une tablette de caramel ou un délicieux « boulet de canon ». À chaque lampée, je frémissais et je m’emportais la gorge, mais je dissimulais, comme un homme, tout symptôme de répugnance.

Le flacon fut rempli et vidé plusieurs fois au cours de l’après-midi. Je possédais, en tout et pour tout, vingt cents, mais je les alignai bravement, regrettant au fond l’énorme quantité de sucreries que représentait une telle somme.

L’alcool nous montait au cerveau. Scotty et le harponneur parlaient des alizés à affronter, des tempêtes du cap Horn, des pamperos[1] au large de la Plata, de brises à amener les perroquets, de coups de chien du Sud, d’ouragans du Pacifique nord, et de baleinières fracassées dans les glaces arctiques.

— Impossible de nager dans cette eau glacée, me confiait le harponneur. En une minute tu te replies en deux et tu coules. Quand une baleine démolit ton bateau, la seule chose à faire est de te plaquer le ventre le long d’un aviron, de façon que tu puisses flotter lorsque le froid t’enroule.

  1. Vents violents et froids de l’ouest ou du sud-ouest qui balayent les pampas de l’Amérique du Sud depuis les Andes.