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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/69

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bien, quelques jours après, en recevoir l’équivalent.

Voilà pourquoi Nelson s’était attardé au comptoir. Ayant payé un verre, il attendait que j’en fasse autant. Je l’avais laissé payer six fois sans lui offrir une seule tournée ! Lui, le grand Nelson ! Je me sentis rougir. Je m’assis sur le parapet du quai et enfouis mon visage dans mes mains. La honte me brûlait le cou, m’empourprait les joues et le front. J’ai piqué bien des fards dans ma vie, mais jamais un pareil.

Là, sur ce parapet d’appontement, plongé dans mon infamie, je méditai longtemps et modifiai mes notions sur la valeur de l’argent. Né pauvre, pauvre j’avais vécu. Parfois, j’avais eu faim. Jamais je n’avais eu de jouets ni d’amusements comme les autres enfants. Mes premiers souvenirs de la vie étaient flétris par la gêne. Notre misère était passée à l’état chronique.

À huit ans je portai mon premier petit tricot, un simple tricot de dessous, mais un vrai, acheté dans un magasin. Quand il était sale, il me fallait endosser de nouveau l’horrible linge confectionné à la maison. J’étais si fier de ce tricot que j’insistais pour le mettre sans autre vêtement. Pour la première fois, je me révoltai contre ma mère, au point de prendre une crise de nerfs, jusqu’à ce qu’elle me permît de le porter ostensiblement.

Celui qui a connu la faim peut seul apprécier la nourriture à sa juste valeur ; seuls les marins et les habitants du désert savent le prix de l’eau fraîche. Et seul un enfant, avec son imagination, peut être amené à comprendre l’importance des choses dont il a été longtemps privé.