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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/129

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JACK LONDON

Et je me pris à contempler, comme fasciné, ce colosse au teint bronzé, dont le profil, fraîchement rasé, avait la pureté d’un camée. Les lèvres, à la fois sensuelles et dures, étaient pleines et charnues. Le nez, impératif et conquérant, avait quelque chose du bec de l’aigle, avec une régularité de lignes très classique. Le masque entier était une incarnation de la force, mélancoliquement orgueilleuse et cruelle.

Cet homme m’intéressait malgré moi. Qui était-il exactement ? Qu’était-il venu faire sur la terre ? N’avait-il pas, comme j’en avais eu l’impression, manqué sa voie, en se contentant d’être le maître obscur d’une goélette chassant les phoques ?

Je ne pus garder pour moi mes réflexions et demandai à Loup Larsen :

— Ne pensez-vous pas, parfois, que vous avez raté votre vie ? Bien orientée, la puissance énorme qui est en vous aurait pu vous mener haut, très haut. Dépourvu, comme vous l’êtes, de conscience et de moralité, vous auriez été un admirable meneur d’hommes. Vous auriez pu dominer le monde.

« Et pourtant vous êtes ici, à l’apogée de votre vie, vous menez une existence sordide, parmi des brutes, sans autre satisfaction que celle d’une débauche crapuleuse lorsque vous serez de retour à terre, sans autre avenir devant vous que de voir s’avancer un jour le déclin et la mort.

« Quelle malchance a saboté votre vie, dès votre naissance ?

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