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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/208

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LE LOUP DES MERS

enduit, et leur sang coulait à flots, par les dalots.

Mâts et cordages, lisses, écoutilles et capots, étaient éclaboussés de rouge, pendant que nos hommes, le torse nu, les mains et les bras teints d’écarlate, tels des bouchers à l’abattoir, opéraient sans arrêt. Armés de leurs couteaux, ils éventraient, dépeçaient et dépouillaient les jolies créatures de la mer, palpitantes encore.

Ma tâche consistait à inscrire les prises, à mesure que les canots les apportaient à bord, puis à superviser le dépeçage, et à veiller ensuite au nettoyage du pont et à la remise en ordre du bateau.

Ce n’était pas, pour moi, une besogne particulièrement agréable. Mon âme et mon estomac s’y révoltaient. Le seul avantage que j’en tirais était d’apprendre à manier les hommes placés sous ma direction, et à leur commander. La « chiffe molle », décidément, s’aguerrissait et s’en trouvait bien.

Je commençais à sentir que jamais plus je ne redeviendrais le même homme. Malgré toutes mes heures de désespoir, j’arrivais toujours à réagir contre les théories désolantes et destructives de Loup Larsen, et je lui savais gré, au fond de moi, de m’avoir ouvert les yeux à bien des réalités de la vie, qui m’étaient, jusque-là, restées inconnues.

À leur contact, je sortais du royaume de l’esprit et, au lieu de me contenter d’idées toutes faites sur le monde, j’en parlais, à présent, en phrases concrètes et objectives.

Lorsque le temps était beau, tous les canots

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