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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/81

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JACK LONDON

Entre-temps, il daigna m’expliquer, d’un ton confidentiel :

— J’ai l’habitude de me mettre bien avec le commandement. J’ai des tas de trucs pour me faire apprécier. Avec mon précédent capitaine, j’étais ami comme cochon. Je me gênais pas pour aller souvent le trouver dans sa cabine, faire avec lui un brin de causette et boire le petit verre de l’amitié.

« Mugridge, qu’il me disait, Mugridge, t’as raté ta vie ! » — « Et comment ça ? » je demandais. — « T’étais né gentleman et non pour trimer dans une cuisine. »

« Que Dieu me foudroie à la minute, si je mens ! Oui, Hump, c’est comme ça qu’il me parlait ; moi, j’étais assis à mon aise dans sa propre cabine, à la bonne franquette, en train d’y fumer ses cigares et de déguster son rhum !

Cet insupportable caquetage me rendra fou. Jamais je n’ai entendu une voix aussi haïssable.

Avec ses intonations insinuantes et mielleuses, son sourire graisseux et sa monstrueuse vanité, ce coq est bien l’être le plus répugnant que j’aie jamais rencontré. Par instants, il m’exaspère tellement, que j’en ai la tremblote.

La saleté de cette cuisine est indescriptible et, comme c’est là que se prépare tout ce qui se mange à bord, j’en suis réduit à choisir, pour ma nourriture, les bribes d’aliments que j’ai pu soustraire au contact de Mugridge.

Mes mains, inhabituées aux besognes auxquelles

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