d’organisation du prolétariat instruit, et préparait des plans pour maintenir au moins un rudiment d’éducation chez le peuple de l’Abîme, dans l’éventualité, bien entendu, d’un échec de la première révolte.
Ce n’est qu’en janvier 1917 que nous quittâmes le refuge. Tout était prévu. Nous prîmes place immédiatement comme agents provocateurs dans le jeu du Talon de Fer. Je passais pour la sœur d’Ernest. Cette place nous avait été ménagée par les oligarques et les camarades en autorité dans leur cercle intime ; nous étions en possession de tous les papiers nécessaires, et notre passé même se trouvait en règle. Avec l’aide du cercle intime, cela n’était pas si difficile qu’on pourrait croire, car, dans ce monde d’ombres qu’était le service secret, l’identité restait toujours plus ou moins nébuleuse. Pareils à des fantômes, les agents allaient et ve-
touchant à la sorcellerie. Ils modifiaient radicalement les yeux et les sourcils, les lèvres, les bouches et les oreilles. Par d’adroites opérations à la langue, à la gorge, au larynx ou aux fosses nasales, la prononciation et toute la manière de parler pouvaient être transformées. Cette époque de désespoir suscitait des remèdes désespérés, et les médecins révolutionnaires s’élevaient à la hauteur des besoins de leur temps. Entre autres prodiges, ils pouvaient accroître la taille d’un adulte de quatre ou cinq pouces et la diminuer de un ou de deux. Leur art est aujourd’hui perdu. Nous n’en avons plus besoin.